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dimanche 5 mars 2023

Elle s'employait à démentir les bruits de sorcellerie et de magie qui couraient sur le compte de Zacharius

 article précédent : Mentalité me plaît. Il y a comme cela des mots nouveaux qu'on lance





Elle s'employait à démentir les bruits de sorcellerie et de magie qui couraient sur le compte de Zacharius ; mais comme, au fond, elle était persuadée de leur vérité, elle disait et redisait force prières pour racheter ses pieux mensonges.


Maître Zacharius ou l’Horloger qui avait perdu son âme,

nouvelle de Jules Verne, 1854 



Charles Denner en Zacharius,
dans Zacharius,
de Claude Grinberg, 1984




Chers lecteurs, bonjour.


En ce froid dimanche de mars, nous poursuivons l'étude des dérivés latins de l'éblouissante racine proto-indo-européenne...

*men-, « penser ».





Et OUI, nous creusons encore et toujours autour du latin mēnsmentis, « esprit, âme, raison, idée... ». 




Construit sur cum, com- et mēnsmentis, il nous faut encore mentionner le verbe latin commentārī, qui a signifié en un premier temps,
et en toute logique,
« méditer, appliquer sa pensée à quelque chose » ; la préposition com-, « avec »,
souvent utilisée pour marquer l'intensification de l'action,
accolée à mēns, exprimant bien l'image d'une pensée avec laquelle l'esprit est occupé. 

Par la suite, le sens du mot va quelque peu évoluer, en « expliquer, interpréter des récits ».

Vous l'avez compris, c'est cette seconde acception que nous retrouverons dans l'emprunt (1314) qu'a fait le français du latin commentārī : commenter.

Notons encore qu'entre la Renaissance et le XVIIIème, période correspondant à ce que l'on appelle le français classique, le mot prit une valeur péjorative« interpréter... malignement ».
On peut supposer que ce sens péjoratif est lié, d'une façon ou d'une autre, à l'altération de sens qu'avait en son temps connu le latin classique mentīrī« être inventifimaginatifréfléchi... », pour en arriver tristement à signifier « manquer de parole, tromper, feindre, contrefaire, mentir... ».

Mais oui, OH ! Allez, on relit The sound body is the product of the sound mind.


Quoi qu'il en soit, nous retrouvons encore bien cette valeur péjorative qu'a connu, en français classique, commenter, dans notre expression familière... sans commentaire !

L'anglais aurait-il été influencé par le méchant, méchant, français, ou avons-nous ici affaire à un développement parallèle ? Quoi qu'il en soit, l'anglais a son No comment, devenu expression toute faite employée à tire-larigot par tout représentant officiel pour ne pas répondre aux questions d'un journaliste. 




Savez-vous que le tout premier enregistrement de ce fameux No comment date de 1950, où il est prononcé par Charles Ross, l'attaché de presse officiel de la Maison Blanche sous la présidence de Harry S. Truman ?

Charles Ross en conférence de presse



Et sans cette expression, il n'y aurait point non plus de No comment sur Euronews, émission donnant la parole aux images, sans commentaire...

Sur mēnsmentis, mentionnons encore le nom latin... mentiō, au sens d' « appel à la pensée, ou à la mémoire... ». D'où « témoignage, rapport, proposition... ».

Ben oui, nous l'avons emprunté aussi, vers 1165, pour en faire notre français
- l'imagineriez-vous ? -
mention.


Mais... comme vous le savez, la linguistique établit une distinction nette entre les mots issus d'un étymon, 
évoluant leeeentement, au fil des siècles,
et ceux qui n'en sont que des emprunts, que l'on pourrait qualifier d'images instantanées.

Dans le cas qui nous occupe, il nous faut... mentionner un cas plus qu'intéressant : certes, le français a bien emprunté le latin mentiō pour en faire mention, mais il est un autre mot français issu, lentement, progressivement, de mentiō...

Vraisemblablement par le latin populaire *mentionica (non attesté), dérivé de mentiō.

Mais... qu'est-ce qu'il voulait dire, ce *mentionica ?


Mwouais... vous avez compris qu'avec le latin mēnsmentis
ou du moins avec certains de ses dérivés,
pensée et mensonge peuvent aller de pair... 

Eh oui, tout mensonge ne peut exister que par la pensée
Songe et mensonge... 



Oui, ce latin populaire *mentionica devait désigner le mensonge, car, par leeeente transformation phonétique, il donnera l'ancien français mençunge, attesté en 1080, puis mençonge (1190). D'où notre mensonge.

Sans vouloir sombrer dans le machisme, je dois quand même vous dire que le mot
- et jusqu'au XVIIème, quand même -
a été considéré comme féminin. Je n'en dirai pas plus. Précisément : No comment.




Allez, encore un dérivé de notre latin mēnsmentis. Le tout dernier dont nous parlerons.
(Merci à vous tous qui m'en avez proposé d'autres, notamment en italien, mais là, ça commence à faire long...)
Mais ce mot n'est pas français. Non non.

Avant de le mentionner, je dois vous raconter...
Vous le savez, j'ai en sainte horreur le repli identitaire sous toutes ses formes, tel que l'on peut le percevoir dans le racisme, évidemment, mais aussi, ô ironie, dans l'anti-racisme, voire, dans une moindre mesure, le nationalisme, ou dans sa version la plus diluée, le chauvinisme.

La linguistique
- je vous en ai déjà parlé -
n'est pas épargnée par le nationalisme. Oh que non.
  • À côté de ces Indiens pour qui le proto-indo-européen n'est qu'un sale mensonge occidental, puisque toutes les langues indo-européennes descendent du sanskrit,
  • à côté de ces Tamouls pour qui la langue la plus ancienne qui soit est le
- devinez ! -
tamoul,

  • à côté de ces juifs orthodoxes pour qui c'est évidemment l'hébreu qui est la langue la plus ancienne, puisqu'elle est la langue de Dieu,
  • à côté de ces musulmans fondamentalistes pour qui la langue originelle, c'est l'arabe, puisque c'est la langue de Dieu...,

... il y a les nationalistes... albanais.

Eux aussi sont comiques ! Leur nationalisme est peut-être moins ridicule que le chauvinisme de certains Liégeois, mais quand même, ils n'en sont pas très loin.

Le nationalisme albanais en linguistique ! Aaaaah ! Il suffit de fréquenter certains groupes de linguistique indo-européenne sur FB pour s'en délecter.

Un membre d'un de ces groupes proposait, il y a quelques semaines, une série de bien belles cartes géographiques, chacune affichant, par zones,
très classiquement,
les dérivés d'un même étymon latin.


(Ci-dessous, quelques exemples.)




Ainsi, il fut question, au gré des publications, des dérivés du latin aqua, « eau », de ceux du latin nox, « nuit », de ceux du latin arbor, « arbre », et ainsi de suite.

Et pour l'un des Albanais fréquentant le groupe, c'était toujours en albanais
- la plus ancienne des langues indo-européennes ! -
qu'il fallait chercher le vrai mot original.

Comme l'albanais nat(ë), qui, tout le monde le sait, est à l'origine du latin nox.  

Enfin.


J'adorais les interventions de ce gars, au point de me ruer sur toute nouvelle carte de dérivés...
Un moment, j'ai même pensé qu'il s'agissait d'un compte parodique. Et je me pose toujours la question.



Et maintenant, je peux enfin vous mentionner ce mot non français emprunté au latin mēnsmentis : il s'agit de...
  • l'albanais mendje ,« esprit », dont dérive le verbe dénominal mendoj« penser, compter... ».


Je suppose que pour ce formidable pseudo-linguiste albanais, c'est bien l'albanais mendje qui est à l'origine du latin mēns, et non l'inverse.


Notez, moi, je vous avoue qu'à force de côtoyer des Liégeois, j'en suis venu à me demander si,
tout simplement,
le latin n'était pas issu du liégeois... (du liégeois classique, via le liégeois vulgaire).

Et, au vu des troublantes similitudes entre le liégeois et notamment le grec ancien, le sanskrit et le moyen-gallois, je suis de plus en plus séduit par l'idée d'un proto-liégeois à l'origine de toutes les langues indo-européennes.





Frédéric






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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter…

Le célèbre 

Miserere

de 

Gregorio Allegri,

dans une époustouflante - et très récente - version de

Tenebrae.


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3 commentaires:

Pierre Libotte a dit…

Legia caput mundi. Hein daūc.

LeScrat a dit…

😁Horum omnium fortissimi sunt Eburones..Ufti

Frédéric Blondieau a dit…

Chers Pierre et LeScrat, je n'aurais pu mieux dire ! (dauuuc)
:-D