article précédent: Trancher en agglutinant ? Mais est-ce seulement possible ?
Śłöf duy buwła fest!
Skumma frmdy gest,
Skumma muma ana fettyn,
Z' brennia nysła ana epułn,
Śłöf duy Jasiu fest!
(Dors, mon garçon, profondément !
Les invités étrangers viennent,
Les tantes et les oncles viennent,
Apportant des noix et des pommes,
Dors, Jeannot, profondément.)
Berceuse en wymysorys
Skumma frmdy gest,
Skumma muma ana fettyn,
Z' brennia nysła ana epułn,
Śłöf duy Jasiu fest!
(Dors, mon garçon, profondément !
Les invités étrangers viennent,
Les tantes et les oncles viennent,
Apportant des noix et des pommes,
Dors, Jeannot, profondément.)
Berceuse en wymysorys
Bonjour à toutes et tous !
Cet article marque mon DERNIER dimanche de vacances.
C'est épouvantable.
Lundi, mes vacances seront finies.
Mais bon. Je suppose qu'il y en a qui souffrent plus que moi. J'en doute, mais soit.
Dimanche dernier
- un VRAI dimanche de vacances, celui-là, aaaaaah -,
le chien, Alexandre le Bienheureux, un des rares films que j'emporterais sur une île déserte |
nous avions découvert, issu de l'adorable racine indo-européenne ...
*h₂eḱ-, “piquant, acéré”,
l'étymon germanique *agjō-, “lame, tranchant, arête...”, créé sur une forme adjectivale féminine *h₂eḱ-ieh₂-.
Je vous en remets une petite tranche, peut-être ?
*h₂eḱ-, “piquant, acéré”
⇓
forme (adjectivale) suffixée féminine *h₂eḱ-ieh₂-
⇓
proto-germanique *agjō-, “lame, tranchant, arête...”
⇓
vieil anglais eċġ
⇓
moyen anglais egge
⇓
anglais edge, “bord, arête, marge, tranchant, orée, arête...”
Comme nous l'explique Guus Kroonen,
épi et puis aussi le vieil anglais ēar, æhher, eher, oui: “épi”,
On récap', jusqu'à l'anglais ear ?
Allez, on continuera dimanche prochain.
⇓
vieil anglais eċġ
⇓
moyen anglais egge
⇓
anglais edge, “bord, arête, marge, tranchant, orée, arête...”
Aujourd'hui
- vous ai-je dit que c'était mon DERNIER dimanche de vacances ? -,
je vous propose un autre étymon germanique,
évidemment toujours issu de notre formidable *h₂eḱ-, “piquant, acéré”,
l'étymon... *ahiz-, que l'on pourrait traduire par ... épi.
Lui, c'est d'une forme suffixée en -s- de *h₂eḱ-, *h₂eḱ-os-, qu'il nous arrive.
Pour les grands malades, ce radical en -s-, sous forme de suffixe, permettait de créer des substantifs neutres.
En réalité
- mais surtout, ne vous inquiétez pas, ne paniquez pas -
les choses sont un chouia plus complexes...
Comme nous l'explique Guus Kroonen,
le paradigme germanique original,
directement dérivé de *h₂eḱ-os-, donc,
le neutre *ahaz- (au pluriel *ahizō-), “épi”,
a donné lieu à une flopée de formations ultérieures, à l'aide de radicaux secondaires...
Et OUI, notre *ahiz- en est une belle illustration.
Pour résumer l'article jusqu'ici - et surtout le chemin germanique de notre délicieuse *h₂eḱ- jusqu'à *ahiz- :
*h₂eḱ-, “piquant, acéré”
⇓
substantivation par une forme suffixée neutre h₂eḱ-os-
⇓
⇓
substantivation par une forme suffixée neutre h₂eḱ-os-
⇓
proto-germanique *ahaz- (pluriel *ahizō-), “épi”
⇓
formations ultérieures
⇓
proto-germanique *ahiz-, “épi”.
Ce bon *ahiz- nous a donné quelques jolis dérivés, comme, par exemple,
- le gotique 𐌰𐌷𐍃, ahs, “épi”,
- le - MAIS OUIIIIIII !!! - vieux norois ax, “épi”,
- d'où aussi le féroïen aks, de même sens - faites au moins semblant que ça vous intéresse -,
- le vieux frison (pluriel) ār, “moisson”,
- le néerlandais aar, “épi”,
- le vieux haut-allemand ehir, toujours “épi”,
- d'où, par le moyen haut-allemand eher, äher,
- l'allemand Ähre, toujours “épi”,
- d'où l'anglais ... ear.
- Ear ? Mais enfin ?
- Oh, mais bonjour, Monsieur Ucon !
Oui, l'anglais ear. Qui ne désigne pas que l'oreille, voyez-vous, mais aussi... l'épi.
Ah oui ! Et si jamais, à l'issue d'un pari particulièrement stupide, la boisson (ou le désespoir) aidant, vous deviez vous réveiller à Wilamowice,
petite et coquette bourgade rurale du sud de la Pologne sur la frontière entre la Silésie et la région de Petite Pologne,
sachez qu'on y parle encore
- mais pour plus très longtemps, hélas, les derniers locuteurs se meurent -
le wymysorys, wilamowicien ou Wymysiöeryś, qu'en polonais on traduit par język wilamowski.
(Oui, car, même pour les Polonais - c'est peu dire -, le nom de cette langue est tout bonnement imprononçable. Ils l'ont donc très intelligemment appelée język wilamowski, littéralement la langue de Wilamowice.)
Si donc, par mégarde, à la suite d'une peine d'amour, ou poussé par un goût du risque qui touche clairement à la folle témérité, vous deviez vous retrouver à Wilamowice, vous serez le seul étranger à comprendre que leur yjer signifie “épi”.
Le wymysorys, je ne l'ai pas précisé, est bien une langue germanique, et occidentale, qui plus est ; on le fait remonter au néerlandais, voire au flamand. Il y serait arrivé avec de lointains colons, flamands peut-être.
Vraisemblablement ivres, téméraires ou en mal d'amour.
Et comme je l'ai souligné, cette langue est hélas en danger ; ne la parlent plus qu'une centaine de locuteurs, les anciens...
plus qu'à trouver les 98 autres |
On récap', jusqu'à l'anglais ear ?
*h₂eḱ-, “piquant, acéré”
⇓
substantivation par une forme suffixée neutre h₂eḱ-os-
⇓
proto-germanique *ahaz- (pluriel *ahizō-), “épi”
⇓
substantivation par une forme suffixée neutre h₂eḱ-os-
⇓
proto-germanique *ahaz- (pluriel *ahizō-), “épi”
⇓
formations ultérieures
⇓
proto-germanique *ahiz-, “épi”
⇓
vieil anglais ēar, æhher, eher, “épi”
⇓
anglais ear, “épi”
⇓
vieil anglais ēar, æhher, eher, “épi”
⇓
anglais ear, “épi”
Allez, on continuera dimanche prochain.
Mais euh, dites, vous vous rendez bien compte de ce que vous êtes en train d'apprendre, là, comme ça, avec cette série d'articles ???
Que le wymysorys yjer est un cousin de notre aigre, du latin ocris (de mediocris), de l'anglais edge, du russe осот, osót, “chardon”, du grec ancien ὄκρις, ókris, “pointe, arête acérée, proéminence, rugosité...”, du russe о́стрый, “óstreuil”, “pointu, acéré, fin, critique, piquant...”, du moyen irlandais ochair, “arête”, du sanskrit अश्रि, azri, “arête” ?
Que tous (TOUS) sont étroitement liés par une étymologie commune, qu'ils sont les descendants d'une seule et même racine indo-européenne ???
Merci qui ?
Mais oui, l'indo-européen, pardi !
Portez-vous bien, et à la semaine prochaine...
Frédéric
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Attention,
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
voyons, voyons... un compositeur ... polonais ?
OUI, du Chopin,
le Prélude n°4 en mi mineur, opus 28, n°4,
si intimiste, si retenu, d'une sobriété quasi religieuse, ...
Voyons... Qui pourrait bien l'interpréter ?
Ah ben, oui, voilà:
Khatia Buniatişvili.
Un pur hasard, bien sûr.
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2 commentaires:
https://www.youtube.com/watch?v=6vVRTZnzpJc
:-) superbe version !
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