article précédent : l'anglais squatte le français
"Oui" et "non" sont les mots les plus courts et les plus faciles à prononcer,
et ceux qui demandent le plus d'examen.
Talleyrand
et ceux qui demandent le plus d'examen.
Talleyrand
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, 2 février 1754 -17 mai 1838 |
Bonjour à toutes et tous !
Nous sommes le dimanche de confinement 19 avril 2020,
et nous nous intéressons toujours aux rejetons de la si jolie racine indo-européenne...
De ses dérivés, nous connaissons déjà, je vous le rappelle :
- digeste, gérer, gérondif, gestation, geste, indigeste, suggérer,
un exemple de gérondif ? "En digérant"., 16 février 2020,
- agir, agiter, ambages, ambigu, cailler, coaguler, cogiter, exiger, exigu,
exiger de s'agiter sans ambages, c'est un peu ambigu, non ?, 23 février 2020,
- acte, acteur, action, actually, actuel, actuellement, agence, agent, agissements,
et... action !, 1er mars 2020,
- aurige, cacher, cachet,
et la statue de l'aurige, celle qu'on vient de retrouver à Delphes, on va l'appeler COMMENT ???, 8 mars 2020,et
- décati, squat, squatter,
l'anglais squatte le français, 12 avril 2020.
Et toujours pour rappel, ces dérivés nous arrivent,
d'une façon ou d'une autre,
du latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”, ou du latin gerō, gerēre, “porter, transporter”
**********
racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”
⇓
proto-italique *ag-e/o-, “faire, agir”
⇓
latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
proto-italique *ag-e/o-, “faire, agir”
⇓
latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
**********
racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”
⇓
racine post-indo-européenne *h₂ǵ-es-, “transporter”
⇓
proto-italique *ges-e/o-, “transporter”
⇓
latin gerō, gerēre, “porter, transporter”
racine post-indo-européenne *h₂ǵ-es-, “transporter”
⇓
proto-italique *ges-e/o-, “transporter”
⇓
latin gerō, gerēre, “porter, transporter”
**********
Aujourd'hui, je vous propose encore quelques dérivés du latin agō qui ne lui ressemblent pas.
alors qu'ici, ce sont des chiens qui ressemblent à des acteurs |
Au point qu'il est bien difficile pour le commun des mortels d'imaginer, ne fût-ce qu'un instant, qu'ils descendent bien de ce verbe latin.
- uuuuh ? - non, rien. |
Pour le premier de ces mots, je vous demanderai de fermer les yeux
- vos paupières sont lourdes -,
de respirer lentement, et de bien suivre ma voix.
Je vais compter jusqu'à dix, et là, vous vous replongerez dans l'article du 23 février dernier,
exiger de s'agiter sans ambages, c'est un peu ambigu, non ?.
Vous y êtes. Il est devant vous.
Vous le relisez posément, jusqu'à tomber sur ...
cogiter.
Que lisez-vous ?
Notre cogiter est un emprunt de la moitié du XVème au latin cōgitāre, “penser, méditer”, composé de con- (cum), “avec” et de agitāre.
Oui, c'est bien, et ensuite ?
Cōgitāre, au sens propre, signifiait “agiter ensemble des pensées”.
Voiiiilà, bien.
Relaxez-vous.
Je vais maintenant compter jusqu'à cinq, et lentement, vous reviendrez à vous, devant cet article du 19 avril.
1, 2, 3, 4, 5
Il est un mot français bien ancien
- on l'atteste vers 1165 ; ça vous situe -
mais que nous utilisons toujours.
(Je parle de VOUS et de MOI, qui ne faisons pas partie du susdit commun des mortels ; nous qui nous intéressons plus à l'étymologie historique qu'aux résultats du foot ou de l'Eurovision.)
Ce mot, donc, utilisé plutôt en langage châtié, est construit sur un doublet populaire
(deux secondes, je me rince la bouche)
de notre... cogiter.
Ce mot populaire aura vécu ce que vivent les roses, l'espace d'un matin...
Enfin, un peu plus, quand même.
Mais quoi qu'il en soit, il tirera sa révérence au XVIème.
Si cogiter signifait penser, vous êtes en droit de supposer que son doublet signifiait la même chose. Et vous aurez raison.
Alors, dites-moi, quel aurait pu être cet autre mot, au sens de penser, auquel nous avons finalement préféré cogiter ?
Pas d'idée ?
Ce qui est surprenant
- si du moins vous connaissez un minimum d'espagnol,c'est qu'il vous rappellera formellement un mot espagnol, dont le sens a évolué, certes, mais qui dérive bien du latin cōgitāre.
Allez, bonne poire,
je vous mets sur la piste, en vous donnant son cousin espagnol... (ou portugais : pareil).
je vous mets sur la piste, en vous donnant son cousin espagnol... (ou portugais : pareil).
Ce verbe espagnol, qui peut toujours signifier penser, croire, sera plutôt volontiers utilisé dans le sens de... soigner, prendre soin de, veiller, s'occuper de...
Je pense que l'on peut, sans trop se tromper, retrouver derrière ces acceptions modernes, son sens premier : “penser à” . “Se pencher (mentalement) sur...”.
Ce verbe ? cuidar.
Et à présent, ce verbe de l'ancien français, disparu à tout jamais ?
Mmmh ?
Cuider a disparu, je ne vais pas vous le répéter.
Mais...
Il a eu le temps de nous léguer...
outrecuidant !
Outrecuidant, qui n'est que le participe présent adjectivé du composé ancien français outrecuider.
Construit sur outre-, et, et, et ? cuider, bien !
Ce beau et ancien verbe pouvait se comprendre comme “se penser trop”.
“Se donner trop de valeur”.
Ce que font précisément ceux, qui ne se considèrent pas comme le commun des mortels.
Se donner trop d'importance se manifestera par du mépris, de l'arrogance,
l'outrecuidance étant définie par ©Le Grand Robert de la langue française comme de la...
confiance excessive en soi-même, estime exagérée de soi, se manifestant généralement par de l'impertinence, de l'arrogance.
Pas mal, non ?
Car, sans rire, vous l'aviez identifié, vous, le lien entre le latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...” et outrecuidant ?
Allez,
passons à un autre mot.
Autre mot, mais, de mêmes caractéristiques : pas facile, en le lisant, de le rattacher à notre latin agō, -ere....
Et pourtant, ce mot-ci, tout le monde l'emploie. En permanence, ou presque.
Je vous disais encore, dans
Si si, relisez...
Il me semble que cette liste d'acceptions si, euh... diverses
À l'origine, exigere signifie bien “pousser dehors, faire sortir, expulser...”.
De là, son acception d'exiger, qui devait probablement s'entendre comme exiger (de sortir).
Sur cette acception secondaire d'exiger s'est greffé alors le sens d'exiger... de payer (un impôt, par exemple)
Enfin, si vous exigez d'être payé, vous devez pouvoir mesurer, peser, ce qui, en votre chef, vous est dû.
Si je m'appesantis de la sorte sur les divers sens du latin exigere, vous vous en doutez, ce n'est pas pour rien.
Car le vieux français exiger (ou exigier),
Le supin du latin exigere, c'était exactum.
De cet exactum dérivera le latin exactio,
Le français le reprendra, sous forme d'emprunt savant (1261), pour en faire...
exaction !
Eh oui, notre français exaction, employé à présent pour “mauvais traitements, sévices” (début du XXème),
- Exaction ? Mais... se pourrait-il que exact...?
- Mais OUIIIIII !! (ou plutôt exactement !)
Exact est lui aussi un emprunt savant remontant au latin exigere, mais nettement plus récent (du milieu du XVIème), et cette fois via le latin exactus, “exactement pesé, précis, exact”, participe passé adjectivé de, de, de... exigere, bravo !
Exact qualifiera d'abord ce qui est accompli minutieusement, en observant les règles prescrites.
C'est chez Pascal, au milieu du XVIIème, que le sens moderne de conforme à la vérité apparaîtra...
Mais, revenons, voulez-vous, à l'époque du bas latin.
Car en bas latin, sur exigere se créera encore... exagium, dont le sens ne devrait pas vous choquer outre mesure : “pesage, poids”.
On employait ces exagia comme étalons de mesure, qui permettaient de vérifier la justesse de la pesée des négociants et des commerçants.
Exagium disposait cependant d'un sens connexe, légèrement dérivé...
Qui pensait à pesage supposait qu'il fallait examiner, tester le poids de quelque chose.
“Est-ce bien le bon poids d'or ?”
passons à un autre mot.
Autre mot, mais, de mêmes caractéristiques : pas facile, en le lisant, de le rattacher à notre latin agō, -ere....
Et pourtant, ce mot-ci, tout le monde l'emploie. En permanence, ou presque.
Je vous disais encore, dans
exiger de s'agiter sans ambages, c'est un peu ambigu, non ?,que nous avions emprunté notre exiger dans la seconde moitié du XIVème au latin exigere,
lui-même créé sur ago précédé du préfixe ex-,
de sens propre “pousser dehors, faire sortir, expulser...”,
d'où enfin “exiger, peser, faire payer”.
Si si, relisez...
Il me semble que cette liste d'acceptions si, euh... diverses
- osons disparates -attribuées à ce seul exigere peut s'expliquer ainsi :
À l'origine, exigere signifie bien “pousser dehors, faire sortir, expulser...”.
De là, son acception d'exiger, qui devait probablement s'entendre comme exiger (de sortir).
Sur cette acception secondaire d'exiger s'est greffé alors le sens d'exiger... de payer (un impôt, par exemple)
Enfin, si vous exigez d'être payé, vous devez pouvoir mesurer, peser, ce qui, en votre chef, vous est dû.
Si je m'appesantis de la sorte sur les divers sens du latin exigere, vous vous en doutez, ce n'est pas pour rien.
Car le vieux français exiger (ou exigier),
sur lequel j'étais passé un peu vite la dernière fois,signifiera en un premier temps, notamment “percevoir, recouvrer (un impôt) ; demander impérativement ce qui est dû”.
(Merci le CNRTL)
Le supin du latin exigere, c'était exactum.
De cet exactum dérivera le latin exactio,
“action d'exiger l'accomplissement d'une tâche”,
“bannissement” (on y retrouve l'idée d'expulser), ou alors...
“action de faire rentrer de l'argent, des impôts”.
Le français le reprendra, sous forme d'emprunt savant (1261), pour en faire...
exaction !
Eh oui, notre français exaction, employé à présent pour “mauvais traitements, sévices” (début du XXème),
extension à partir d'un sens précédent (1365), “abus en matière monétaire”,a désigné tout d'abord (1261)... l'impôt !
- Exaction ? Mais... se pourrait-il que exact...?
- Mais OUIIIIII !! (ou plutôt exactement !)
Exact est lui aussi un emprunt savant remontant au latin exigere, mais nettement plus récent (du milieu du XVIème), et cette fois via le latin exactus, “exactement pesé, précis, exact”, participe passé adjectivé de, de, de... exigere, bravo !
Exact qualifiera d'abord ce qui est accompli minutieusement, en observant les règles prescrites.
C'est chez Pascal, au milieu du XVIIème, que le sens moderne de conforme à la vérité apparaîtra...
Blaise Pascal, 19 juin 1623 - 19 août 1662 |
Mais, revenons, voulez-vous, à l'époque du bas latin.
Car en bas latin, sur exigere se créera encore... exagium, dont le sens ne devrait pas vous choquer outre mesure : “pesage, poids”.
On employait ces exagia comme étalons de mesure, qui permettaient de vérifier la justesse de la pesée des négociants et des commerçants.
exagium romain |
Exagium disposait cependant d'un sens connexe, légèrement dérivé...
Qui pensait à pesage supposait qu'il fallait examiner, tester le poids de quelque chose.
“Est-ce bien le bon poids d'or ?”
Ce sens de test s'est dérivé en se généralisant... Pour désigner toute tentative, ou mieux, tout... essai.
Eh oui ! Notre français essai, attesté circa 1140, est issu du bas latin exagium.
Je sais, ça vous la coupe.
Ah oui, et le sens littéraire d'essai, nous le devons à Monsieur de Montaigne, tout simplement.
Et puis, il est encore un autre emprunt savant également créé sur un dérivé latin de exigere,
qui date cette fois de la première moitié du XIVème,et qui, lui aussi, reprend la notion - ici au figuré - de peser, s'assurer que le compte y est...
Vous le trouvez ?
Examen.
Ben oui.
Emprunté
- disons-le tout net, calqué -sur le latin examen, qui (du moins dans une acception) désignait bêtement l'aiguille de la balance,
statera, balance romaine |
d'où l'examen (du poids).
C'est fou, non ?
Tous ces mots dérivés des sens multiples du latin exigere...
Nous en terminerons ici avec un mot français qui, lui, est humblement issu de cette famille de mots latins, pas comme ces soi-disant emprunts savants qui se la pètent un peu, si vous voulez mon avis.
En outre, ce mot, avec lequel nous terminerons aujourd'hui, provient du sens PREMIER de exigere : expulser, emmener hors de...
Et, cerise sur le gâteau, il est issu de ce même latin examen !
Je vous laisse chercher ?
Pour la forme, vous avez le mot de départ examen, et pour le sens, expulsé, poussé dehors...
Cherchez, je vous dis, sinon, quand je vous donnerai le mot, vous allez vraiment vous en vouloir...
Je vous assure...
Oui, non ? (comme dirait Talleyrand)
Ce mot, c'est...
essaim.
Du latin examen, dont une autre acception désignait un vol d'abeilles quittant une ruche pour aller s'établir ailleurs...
Voilà à quoi mène l'étymologie historique, à quoi vous mène une jolie petite racine indo-européenne...
Vous vous rendez compte ?
L'espagnol et le portugais cuidar, nos français essai, examen, essaim, outrecuidant, exact, exaction...
Plus tous les autres ! Digeste, gérer, gérondif, gestation, geste, indigeste, suggérer, agir, agiter, ambages, ambigu, cailler, coaguler, cogiter, exiger, exigu, acte, acteur, action, actually, actuel, actuellement, agence, agent, agissements, aurige, cacher, cachet, décati, squat, squatter !!!
TOUS descendent de notre adorable racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”.
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche confiné.
Tenez bon.
Et surtout, portez-vous bien.
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
en cette année 2020,
où nous fêtons le 250ème anniversaire de la naissance de Beethoven,
je vous propose le deuxième mouvement de son Triple Concerto en do majeur, opus 56,
le Largo (attacca) en la bémol majeur
- oui, oh ! Seul les premier et 3ème (et dernier) mouvements sont en do majeur -,
enregistré ici à la Philharmonie de Berlin,
par d'immenses musiciens, au sommet de leur art,
les merveilleux Anne-Sophie Mutter, Daniel Barenboim, et Yo-Yo Ma.
en cette année 2020,
où nous fêtons le 250ème anniversaire de la naissance de Beethoven,
je vous propose le deuxième mouvement de son Triple Concerto en do majeur, opus 56,
le Largo (attacca) en la bémol majeur
- oui, oh ! Seul les premier et 3ème (et dernier) mouvements sont en do majeur -,
enregistré ici à la Philharmonie de Berlin,
par d'immenses musiciens, au sommet de leur art,
les merveilleux Anne-Sophie Mutter, Daniel Barenboim, et Yo-Yo Ma.
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6 commentaires:
Bonjour Frédéric!
Wow quel dimanche plein de surprises! Formidable!
Deux petits ajouts? En italien l'esattore c'est toujours le percepteur. Quant à l'espagnol - je ne t'apprends rien- cuidado (soin, souci) lorsqu'il est employé en interjection signifie "attention!"
Lumineuse journée! Cuidate
https://images.app.goo.gl/fqSxfPSSLRCdx8C6A
Et donc, bien entendu :
https://youtu.be/m0W4F2_sbiI
Oui, tout cela est bel est bon... mais la vidéo de la charmante jeune fille que vous avez placée en début d'article m'a distrait - provisoirement, fort heureusement - du reste de la publication, au demeurant excellente, comme d'habitude. Merci Frédéric.
:-) Merci, JLS,
Oui, c'est vrai que cette image est quelque peu... hypnotique. ;-)
Bon dimanche !
Frédéric
@Pierre
Mais oui, bien entendu !! :-)
J'y avais même pensé, figure-toi...
Bon dimanche, Pierre !
@LeScrat,
Bonjour LeScrat ! Ah, ici, l'italien fait moins dans la dentelle que le français, en l'occurrence si "politiquement correct" !
Et oui, cuidado, bien sûr, qui peut donner à... penser que cuidar peut parfaitement se traduire également par "prêter attention (à)".
Merci, et TRÈS bonne semaine,
Frédéric
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