- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 30 mai 2021

En avril, sous les branches, Au feuillage frileux

 



En avril, sous les branches 
Au feuillage frileux, 
En cherchant des pervenches 
J'ai trouvé tes yeux bleus.


Pfff, mais vous êtes méchants !
Il ne s'agit que d'une des PREMIÈRES poésies d'Armand Sylvestre.

Armand Silvestre,
écrivain, romancier, poète, conteur, librettiste et critique d'art,
18 avril 1837 - 19 février 1901



Joli mois de mai,
quand reviendras-tu,
m'apporter des feuilles,
m'apporter des feuilles,

joli mois de mai,
quand reviendras-tu, 
m'apporter des feuilles pour me torcher le .

anonyme (il a insisté pour le rester), fin du XXème






Bonjour à toutes et tous.

 

Aujourd'hui, il sera encore question des dérivés de la charmante racine indo-européenne...

un sujet dont on parle peu.
Oui, un sujet tabou.


*uik-e-
, “vaincre, triompher de”.




Le point ?

🜛🜛🜛















Nous avons passé en revue, le 25 avril, une série de dérivés germaniques de notre *uik-e-, “vaincre, triompher de”, dont notamment 
  • le gotique 𐍅𐌴𐌹𐌷𐌰𐌽, weihanse battre”,
  • le vieil anglais wīganse battre, faire la guettre, batailler”, d'où...
  • les vieux anglais... oferwīgan, “l'emporter au combat, conquérir”, 
  • wīgend, “soldat, guerrier”, et 
  • wigian, “se battre”,
  • le vieil anglais wīġ, “guerre, bataille” et son composé ānwīġ
  • duel
  • le vieil anglais poétique wiga“guerrier, combattant”, “héro, homme”, 
  • le vieux francique *wīg, combatsecond terme du prénom *Mārīwīg, fameux (*mārīau combat(*wīg)”, latinisé pour devenir... Meroveus, d'où Mérovingiens,
  • le vieux norois vegase battre”, dont seront issus...
    • le danois archaïque vejeoccire, tuer au combat”, l'islandais vega...,
  • le vieux norois... vígcombat, bataille, homicide, meurtre” dont descend probablement le prénom Viggo, Wiggo,
Oft ic wig seo, frecne feohtan, 25 avril 2021.
 
Le 2 mai, il était question des dérivés celtiques de *uik-e-,
ou pour être précis, de sa forme de base et au degré zéro *uik- (ou *wyk-),


au nombre desquels nous pourrions citer :

  • le vieil irlandais fichid,
     se battre, combattre”,
  • le moyen gallois amwyn, “entourer, défendre”,
  • le gaulois 
    Adcovicus, qui est fortement avec les vainqueurs”,
  • le gaulois Blandovicu, qui combat avec douceur”,
  • le gaulois Exalbiovix, qui combat en dehors du monde céleste”, 
  • l'ethnonyme gaulois Lemovices(ceux qui) combattent / vainquent avec l'orme”,
  • le celte Aquincum, qui a eu la victoire rapide”...


Le 9 mai, nous abordions les dérivés italiques et romans de *ueik- (ou *wyk-), passés en proto-italique par l'étymon *wink-(e/o-)lier, plier” puis l'emporter sur :
  • le latin vincō, vincere, “vaincre...”,
  • l'osque uincter“prouver la culpabilité de quelqu'un (emprunt probable au latin),
  • le pélignien uicturei“vainqueur” (emprunt au latin),
  • l'osque vikturrai, “victoire” (emprunt au latin),
et puis, issus du latin, citons, dans les langues romanes...
  • le français vaincre,
  • le catalan vèncer,
  • l'espagnol vencer,
  • l'italien vincere,
  • (Gérard) le normand veincre,
  • le picard vinke,
  • le portugais vencer,
  • ...
Jules César, On l'appellait Jules César, Il mettait pas d'falzar - Le Grand Jojo, 9 mai 2021.


Le 16 mai, nous étions en plein dans les dérivés latins de *ueik-, avec le latin 
vincō, vincere, 
“vaincre...” et ses propres dérivés, 
  • le français vaincre
  • l'anglais vanquish“vaincre...”,
  • le latin victor, conquérantvainqueur ; victorieux, triomphant...”,
  • le latin victōria“victoire”, et ses dérivés comme le français victoire et l'anglais victory,



Le 23 mai, nous poursuivions notre étude des dérivés latins de la belle *ueik-“vaincre, triompher de”, ainsi que des mots - notamment - français qui en provenaient :
  • vincibilis, “qui peut être vaincu ; qu'on peut vaincre ; (d'un procès) facile à gagner”
    • d'où notre français vincible,
  • invincibis,
    • d'où invincible,
  • convincō, “prouver la culpabilité de...”,
    • d'où l'acception française d'amener quelqu'un à reconnaître sa culpabilité,
  • convictio,
    • d'où notre conviction, action de prouver la culpabilité de quelqu'un, et de preuve de culpabilité”,
  • convictus“dont la culpabilité à été prouvée...”,
    • d'où le moyen français convicter, au sens (juridique) de convaincre,
      • d'où l'anglais convict déclarer coupable”, “prisonnier, détenu”,
  • pervincō, pervincere, “venir à bout de”, “vaincre complètement”, “finir par persuader quelqu'un de”, “amener (quelqu'un) à croire, à vouloir, à faire...”,
    • d'où le roumain obsolète previnge“triompher sur, conquérir, vaincre...”,
  • le latin pervicāx, “déterminé, tenace“entété, tétu, obstiné, archarné...”n
    • d'où des emprunts 
      • en portugais : pervicaz,
      • en italien : pervicace,
      • en anglais (rare) : pervicacious.
  • le latin evincere, “triompher de”, “déposséder juridiquement”,
    • d'où notre emprunt savant évincer,
  • le latin evictio“recouvrement d'une chose par jugement”,
    • d'où notre éviction,
  • les latins victus, vaincu”, et invictus, invaincu”.

🜛🜛🜛



Il fait beau. Ici, il fait même superbe.

le jardin...


Ça, plus le déconfinement progressif en cours, plus une charge certaine de travail (de mon vrai travail)...
tout ça, donc, fait que cet article sera concis. Voire bref. Même peut-être court.
Succinct ?




Nous avions abondamment parlé de 
vincō, vincere, 
“vaincre...”.
 
Il existe encore un mot latin qui pourrait provenir de notre délicieuse ueik-“vaincre, triompher de” : le verbe vinciō, vincīre, “lier...”.

Pourrait, oui. Car rien n'est trop sûr.

de Vaan, dans cette somme qu'est son
Etymological Dictionary of Latin and the other Italic Languages,
émet un prudent probably quant à la parenté entre vincō, “vaincre...”et vinciō, “lier, attacher, courber, plier”.

- Lier, courber, plier ?? Maisje ? Vous êtes fou, Blondieau.
- Bonjour Monsieur Ucon, vous allez bien ?

Oui. Ces acceptions peuvent paraître, de prime abord, difficilement conciliables.

Messieurs Ernout et Meillet prenaient cependant la peine de nous expliquer que cette notion de lier propre à vinciō s'appliquait à des liens qui entourent (un corps ou un objet). 

Essayez, pour voir
- qu'on rigole -,
d'entourer sans courber, sans plier


D'ailleurs, le neutre vinculum, dérivé de vinciō, qui désignait,
sans grande surprise,
le lien, ou l'attache, comptait quelques acceptions spéciales,
comme, au pluriel (vincula), “les entraves, les menottes (des prisonniers)”,
qui évoquent clairement l'idée d'enserrement.




Mon âme de traducteur se délecte de l'image d'assujettir (au moyen d'un lien), qui évoque tant l'idée d'attacher, d'enchaîner, que celle de ranger sous sa domination.

Et pour de Vaan, sémantiquement, on peut aisément passer de l'idée de courber, plier à celle de l'emporter sur, vaincre, cette dernière impliquant qu'un des adversaires fasse plier l'autre.



Quoi qu'il en soit, nous avons fait de vinculum un emprunt savant, avec le français... vinculum.

Oh, vous le connaissez : il s'agit, en mathématiques, d'une ligne horizontale placée au dessus de symboles ou de chiffres, et destinée à regrouper graphiquement ces derniers pour en former un tout.

La barre de fraction : mais en voilà un bel exemple !



Ah, les maths... J'en ai été dégouté.
 
Vous ai-je déjà parlé de cette prof de maths qui me détestait ?
Et qui, en retour, a réussi à me les faire détester ? 
  
Après recherches : oui, je vous en ai déjà parlé, en 2014 ! un dimanche sans rime ni raison ?


Il est un mot français que l'on rapproche parfois de vinciō
- mais encore une fois, sans pouvoir rien affirmer -,
le français... pervenche. (Et je remercie la bonne âme qui me l'a soufflé...)

pervenche



Puisqu'il existe,
à côté du français pervenche (attesté entre 1225 et 1230 sous la forme parvenche),
un italien pervinca, ainsi qu'un autre pervinca, catalan, cette fois,

on suppose
(on postule, en ce jargon mathématique étendu à la logique, et aussi à la linguistique, quand on ne peut démontrer une proposition, qui doit cependant être admise comme base de démonstration),
à l'origine de ces trois mots, un latin, non attesté, *pervinca.

Ce *pervinca latin est l'abréviation de vinca pervinca, qui désignait... ben... la pervenche.

Je sais, je sais, la chute de l'histoire est assez prévisible.

pervenche


Mais... allons un peu loin. On suppose que le non attesté *pervinca dérivait du composé per-vincire, où le préfixe per- renforce l'action de vincire ; ce qui nous permettrait de comprendre... 
  • pervincire comme attacher fortement (enchaîner, entraver...),
et
  • *pervinca comme une plante qui entrelace tout sur son passage. 

Je ne veux pas être méchant, mais ça correspond quand même assez bien à la pervenche, plante rampante s'il en est, et qui s'accroche lamentablement à tout ce qu'elle peut, sans aucun amour-propre.



Elle me fait penser au pathétique Brel de Ne me quitte pas, tiens.


 

Oh oui, si vous ne connaissez pas la version de Brel - ce que je peux comprendre -, vous devez connaître alors celle de Stromae, qui la dépasse, et de très loin : Lombredetonchien-outai

À noter que vinca - celui de l'expression vinca pervinca - provient toujours de vinciō, et désigne, en néolatin
(à la très grosse louche, le latin scientifique qui se répand - comme la pervenche - à partir de la Renaissance)
le genre auquel appartiennent les, les... - allez, ça commence par p -, les p... pervenches, oui, bravo !

Euh, je vous avoue que je me sens très mal à l'aise, à devoir imputer un genre à une pervenche. Les pervenches aussi, ont droit au genre qu'elles souhaitent, et qui n'est peut-être pas le genre qu'elles avaient à la naissance, et/ou celui que la société leur impose. 
Tiens, avez-vous entendu parler de cette annonce à bord d'un train britannique commençant par un beau (et soooo britishGood afternoon, ladies and gentlemen, qu'une personne a estimé devoir critiquer, au prétexte qu'elle (cette personne), non binaire, ne se reconnaissait ni dans ladies ni dans gentlemen. Par voie de conséquence, ladite personne avait estimé que l'annonce ne s'adressait pas à elle. Ou, si vous préférez, que l'annonce ne l'incluait pas.
  
La société ferroviaire a présenté ses plus plates excuses. C'est curieux. Moi, à sa place, j'aurais répondu à ce non binaire qu'il avait nettement plus de chance que les ladies et les gentlemen, car lui se voyait souhaiter deux fois bonne après-midi, en tant que lady, et en tant que gentleman. Même si je ne suis pas certain que le terme gentleman puisse s'appliquer à un - c'est du jargon, ne vous inquiétez pas - trouduc égocentrique qui se permet ce genre de réclamations alors qu'il sait très bien que le message s'adresse à tous, y compris à des trouducs comme lui. Encore une fois, on passe vite de dégenré à dégénéré.
 
Taré·es, va.



Enfin, une fois n'est pas coutume, je terminerai cet article, non pas par des dérivés de la racine du jour
(*uik-e-, “vaincre, triompher de”, pour les Brexiteers et autres mal-comprenants)
mais bien... par autre chose.

Des mots dont on a cru qu'ils provenaient de cette racine ; mais vous savez, l'étymologie populaire...
Il est toujours amusant de retrouver les étymologies de ces mots sur Internet, assénées par des ahuris qui n'ont probablement jamais ouvert un ouvrage de linguistique historique de leur vie.

Province ?

L'étymologie du latin provincia, que nous avons emprunté dans la deuxième moitié du XIIème siècle pour faire notre français province, reste encore, à ce jour, obscure, même si pour certains, il ne fait strictement aucun doute qu'elle est liée à vinciō ou à 
vincō.

Je n'en retiendrai que ce qu'en disaient Ernout et Meillet : 
Pas d'étymologie sûre. Peut-être mot d'emprunt, déformé par de faux rapprochements ? 



Victima ?

Quant au latin classique victima, que nous avons emprunté fin du XVème pour en faire notre victime, même si plusieurs étymologies sérieuses existent à son sujet, qui le rapprochent de notions telles que l'échange, le sacré, la sélection, la séparation, AUCUNE d'entre elles ne remonte à notre *uik-e-, “vaincre, triompher de”, qui, par ailleurs, n'a rien demandé à personne. 
Si le terme victime ne vous est pas familier, pensez au triplet victimiser, victimisation, victimisé, qui, lui, a le vent en poupe, du moins dans nos sociétés occidentales. 



Protégez-vous, prenez soin de vous et de vos proches, 
Portez-vous bien.




Frédéric




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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,

Non, ni du Brel, ni - à regret - du Stromae.


Mais bien du Michel Legrand.


En un magnifique hommage que lui rend le duo Sparkling Diamonds,

avec 

Que feras-tu de ta vie


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