article précédent: - "Nous étions vingt ou trente, Brigands dans une bande, Tous habillés de blanc..." - LA FERME!
“Celui qui met un frein à la fureur des flots
Sait aussi des méchants arrêter les complots.
Soumis avec respect à sa volonté sainte,
Je crains Dieu, cher Abner, et n’ai point d’autre crainte.
Cependant je rends grâce au zèle officieux
Qui sur tous mes périls vous fait ouvrir les yeux.
(...)”
Joad à Abner,
Athalie,
acte premier, scène I
Jean Racine
Fantastique! Représentation d'Athalie par la Comédie Française au théatre romain de Guelma, en Algérie (source) |
Bonjour à toutes et tous!
Ah, je vous l'avais dit dimanche dernier:
notre racine *dher-2 se retrouve ailleurs qu'en latin...
Car, voyez-vous, une forme suffixée en *-ono- du timbre zéro de *dher-2, *dhr-,
notre racine *dher-2 se retrouve ailleurs qu'en latin...
Car, voyez-vous, une forme suffixée en *-ono- du timbre zéro de *dher-2, *dhr-,
- autrement dit (allez, on retire le e de la racine, et on rajoute -ono- en suffixe, donc ça donne .... ) *dhr-ono- -,
se retrouve en grec ancien…
Dans un mot qui désigne quelque chose qui vous supporte.
Ou en tout cas qui supporte une partie relativement charnue de votre anatomie: θρόνος, thrónos, “siège élevé, trône”.
Oui, c’est à θρόνος que nous devons notre français trône.
Trône, ou plus exactement l’ancien français throne, est un emprunt ancien (1120) au latin thronus, lui-même calqué du grec ... θρόνος.
Elizabeth II assise sur le trône de la Chambre des Lords |
En grec ancien, le mot désignait le trône d’un roi, le siège de la Pythie…
la Pythie sur son siège (quand la céramique est peinte en bleu et blanc on parle de céramique de Delphes) |
Puis, en grec chrétien, il désignera le trône de Dieu, ou du Christ.
Christ en majesté, assis sur un trône |
Rapidement (en 1170), le vieux français throne reprendra cette acception du mot, “siège d’où Dieu règne sur le monde”, pour en faire, métaphoriquement, un synonyme de… firmament, voûte céleste.
Preuve en est qu’à l’époque, on connaissait le sens et l’étymologie des mots.
(pour rappel, firmament est très étroitement lié, étymologiquement, à trône. Relisez l'article d'il y a deux semaines: les piqûres me portaient au firmament, avec cette infirmière à la main si ferme.)
Dérivés de trône, nous avons encore notamment détrôner, indétrônable, ou introniser.
Tiens, et pourquoi ce ^ au-dessus du o de trône?
Hein?
Bonne question, non?
Oui, il y a eu confusion entre throne et cet autre mot, trosne.
On a tellement confondu throne et trosne, qu’à la fin, on n’utilisait plus que trosne quand on voulait parler de throne.
D’où aussi l’abandon du h d’origine… Eh, tout s'explique.
Et comme vous le savez, bien souvent, dans un mot, une voyelle dotée d’un accent circonflexe nous rappelle qu’elle précédait à l’origine un /s/ devant une consonne.
Car on le constate, devant une consonne, le son (le phonème) /s/ peut s’atténuer avec le temps.
Une fois le phonème /s/ disparu...
(on parle d’amuïssement d'un phonème quand il devient muet)... la lettre s, qui y correspondait, finit elle aussi par disparaître, ce qui est somme toute parfaitement logique, puisqu'elle n'a plus de raison d'être.
Alors, par compensation, pour, en quelque sorte, conserver la place, la longueur du phonème disparu (un /s/ dans ce cas, pour les moins intellectuellement dotés d'entre nous), on rallonge artificiellement la voyelle précédente, en la munissant d’un très joli ... accent circonflexe.
On retrouve d’ailleurs souvent ce s perdu dans d’autres mots de la même famille.
Ainsi, l'ancien français beste, qui dérivait du latin bestia, a donné bête, mais on retrouve toujours le s original dans bestial, et ainsi de suite…
Mais, et trosne, alors, que signifiait-il?
Ah, c’est là que ça devient amusant!
Si du moins on en croit ce bon Frédéric-Eugène Godefroy (1826 - 1897),
philologue et lexicographe romaniste, auteur du Dictionnaire de l’ancienne langue française du IXe siècle au XVe siècle en neuf volumes, 1891-1902 (tous ces volumes sont sur Gallica!),
source, sur Gallica |
Trosne signifiait très précisément ciel, firmament.
Trosne, mes amis, était en réalité un autre dérivé du même latin thronus!
Un doublet de l'ancien français throne, du moins pour l'acception de "ciel, firmament".
Un doublet de l'ancien français throne, du moins pour l'acception de "ciel, firmament".
On va peut-être résumer tout ça, non?
Calqué sur le grec θρόνος, thrónos, le latin thronus a donné deux dérivés à l’ancien français:
- throne (le trône, le siège, mais aussi, par extension, le ciel, le firmament) et
- trosne (le ciel, le firmament).
On a confondu les deux mots, pour ne plus conserver que le deuxième, trosne.
Qui, soyons fou, a repris et conservé, tant qu'à faire, les acceptions des deux mots.
Enfin, trosne, par le phénomène de l’amuïssement du /s/ et compensation du o en ô, est devenu notre ... trône.
Trop fort!
Entre nous, j'ai horreur de cet emploi de trop. Vraiment trop con. Et ici, le trop est parfaitement bien utilisé.
- Oh, mais qu'est-ce que t'es trop belle!
- Mais si elle est trop belle, ta meilleure amie, ma petite chérie, tu lui jettes un peu d'acide au visage, et ce sera résolu, tu sais.
"Ma soeur est trop belle ! (On est jumelles)" ... ou comment apprendre à parler demeuré à ses deux jumelles (C'est dommage, l'idée était amusante) |
Ça, c'est pour le grec θρόνος, thrónos.
Je vous le dis tout net, là, comme ça:
il y a un mot latin dérivé de *dher-2 dont on n’a pas encore parlé…
(mais à mon avis, ça ne devrait pas trop tarder)
Rappelez-vous, on attribue à notre racine proto-indo-européenne *dher-2 les sens de “tenir fermement, soutenir, supporter”.
Eh bien, nous trouvons encore le latin …
frenum (« mors, bride, harnais »).
Mais oui, tout ce qui sert à tenir, ou retenir le cheval.
mors |
et ici en place |
C’est une forme suffixée de *dher-2, *dher-no-, “tenant”, qui en passant par une forme proto-italique *frēno-, aurait ainsi donné notre frenum latin.
De ce latin frenum, non, nous n’avons pas fait le français bride.
Ni mors.
Et non, n’insistez pas, pas non plus harnais.
En revanche…
Ben oui, frenum nous a donné le français… frein!
(source) |
Dans une acception ancienne - et vieillie - du mot, le français frein, à l'instar du latin frenum, désignait bien le mors, cette partie de la bride qui entre dans la bouche du cheval et permet de le retenir.
C’est de là, évidemment, que nous vient cette très ancienne expression, toujours bien actuelle, “ronger son frein”: contenir son impatience, ou sa colère…
"ronger son frein" |
Le verbe latin frēnō, frēnāre, signifiait littéralement, et sans surprise, brider.
Par extension: freiner, mais aussi, littéralement ou au sens figuré, modérer.
De “mors, bride”, frein en est arrivé certes à désigner un dispositif destiné à modérer la vitesse d’un mécanisme, à enrayer les roues d’un véhicule…
Voiture dotée d'accélérations impressionnantes. Ou alors, qui freine vraiment puissamment en marche arrière. |
Mais au sens figuré, nous retrouvons toujours l'idée de modération (ou d’immodération) dans nos réfréner, ou effréné…
"L'aventure c'est l'aventure" - Claude Lelouch, 1972 -, qui sera tourné à un rythme effréné |
Comme je vous le disais précédemment (relisez les articles précédents!), notre adorable *dher-2 se retrouve dans d’autres groupes linguistiques…
Dans le groupe slave? Yess.
Avec le proto-slave *dьržati-, “tenir”, qui donnera...
- MAIS OUI!!! -... le vieux slavon d’église (aaaaah) дрьжати (“deurjati”),
dont dériveront (et toujours dans le sens de “tenir”)…
- le bulgare държа (dǎrža),
- le russe держать, (“dirjatj’”),
- le tchèque drzý, držet,
- le polonais dzierżyć,
- le slovaque držať,
Oh, et puis, si vous voulez vraiment le savoir, en bas-sorabe, cette langue slave parlée en Basse-Lusace, tenir se dit encore źaržaś.
Et comme vous ne souhaitez pas passer pour un locuteur de bas-sorabe en Haute-Lusace - là où l’on parle le haut-sorabe -, sachez qu’en haut-sorabe, “tenir” se dit dźeržeć.
La Basse-Lusace, en haut, et la Haute-Lusace, en bas |
Et voilà pour ce dimanche!
La semaine prochaine, on continuera notre voyage vers l'Orient...
Je vous souhaite un très bon dimanche, et une excellente semaine!
À dimanche prochain!
Frédéric
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
Voici donc, rien que pour vous, Athalia, HWV 52 (1733),
ici dirigé avec fougue par l'immense Christopher Hogwood,
qui nous a quittés, hélas, en 2014.
qui nous a quittés, hélas, en 2014.
le jeune Christopher Hogwood |
article suivant: Le bon roi Darius 1er a mis son churidar à l'envers
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire