article précédent : parole : préhistoire avec plutôt qu'histoire sans
"...
And so it was that later
as the miller told his tale
that her face, at first just ghostly,
turned a whiter shade of pale
..."
Keith Reid, Procol Harum
Petit avertissement : les racines indo-européennes présentées dans ces anciens articles - à la grosse louche, ceux d'avant 2017 - sont reconstruites selon les études du grand Calvert Watkins ; un jour, quand j'aurai l'temps, je remettrai ces articles à jour en fonction des études de linguistique historiques plus récentes, comme les travaux des linguistes qui se sont associés pour publier le Indo-European Etymological Dictionary (Leiden).
Puisque j'avais déjà parlé à plusieurs reprises des fées (ceci n'est pas une pomme, parole: préhistoire avec plutôt qu'histoire sans), je m'étais dit qu'il fallait peut-être maintenant aborder le cas des elfes.
Et puis, bof, je me suis dit "rabattons-nous plutôt sur une couleur, comme le blanc" (si en tout cas on peut considérer le blanc comme une couleur, mais soit).
ours blancs |
Alors, voilà :
"Blanc" provient, par le germanique *blankaz (brillant, aveuglant, blanc), de la racine proto-indo-européenne...
*bhel-1,
qui signifiait briller, éclater, jeter des éclairs, flamboyer, voire brûler, et véhiculait la notion de "couleur éclatante", comme le blanc par exemple, mais pas exclusivement.
*bhel-1 nous a donné le russe БЕЛЫЙ (dont la prononciation est à mi-chemin entre "bielloeil et biellii") : "blanc".
C'est pour cela que l'esturgeon blanc, qui a le malheur de produire un caviar si apprécié par les nouveaux riches, s'appelle le béluga...
L'Esturgeon (atteint 6 mètres). |
Le béluga (ou bélouga), c'est aussi le nom de ce brave mammifère marin, dit aussi "la baleine blanche".
A gauche, un béluga |
Belgrade, c'est la ville blanche.
Belenos, le dieu gaulois par lequel Astérix aime jurer, selon certaines sources, serait le brillant, le flamboyant.
Mais sachez-le, pour Xavier Delamarre, il conviendrait plutôt de le rapprocher de la racine indo-européenne *bel-, "fort" (sanskrit bala-, grec βελτίων, etc.).
Dur de trouver une représentation de Benelos sans l'épouvantable attirail druidico-Stonehengo-New Age... Ca c'est mieux. |
Nous devons aussi à *bhel-1 les français blême, blêmir (pâlir, blanchir).
"A whiter shade of pale", le slow sket braillette(*) par excellence *érotogène en wallon |
"Blitz", comme dans le tristement célèbre Blitzkrieg, c'est bien entendu : l'éclair.
Mais *bhel-1 nous a également légué, par le germanique *blewaz, le mot bleu !
Et aussi blond, par le germanique *blunda-.
Entendez qu'il s'agit toujours de couleurs claires, ou éclatantes...
Et curieusement, toujours par le proto-germanique, mais cette fois par *blindaz, "nuageux",
*bhel-1 nous a apporté l'anglais blind: les "blinds", ce sont les stores, vénitiens ou pas, ces volets que vous placez sur vos fenêtres pour les occulter, comme derrière des nuages...
Le whisky, je le préfère en tant que Single Malt, mais on peut, en cherchant bien, trouver également de bons blends.
"Blend", par le vieux norrois blanda, c'est "rendre nuageux", et par extension mélanger (oui, pensez par exemple au nuage qui se forme quand vous mélangez deux liquides, à ce nuage de lait se formant dans votre thé).
Enfin, cette même racine proto-indo-européenne *bhel-1 qui nous a donné "blanc, blancheur, blême", cette même racine donc, mais réduite à son degré zéro (autrement dit sans voyelle pivot) *bhl-, en passant par le proto-germanique *blakkaz ("ce qui a été brûlé"), a donné l'anglais... black ! Noir !!
"Noir", comme ce qui est brûlé bien sûr, noirci par le feu.
Le rapport ? Mais par le feu :
Le feu flamboyant, brillant, aveuglant...
En anglais, le forgeron, c'est toujours le blacksmith, mot composé de *bhl-, ici évoquant le métal "brûlé" - entendez "qui a été soumis au feu", et de la racine proto-indo-européenne *smei- :"graver, découper".
A Victorian Blacksmith's Shop |
- Et quoi, les elfes, c'est pour une autre fois ??
- Mais non bien sûr... ^^ (ce smiley évoquant pour moi les yeux au ciel, le gros soupir)
Car l'anglais elf ("elfe") par le vieil anglais Ælf "elfe", vient de *albho-, autre racine proto-indo-européenne, signifiant... Blanc !
Le blanc étant la couleur de cette apparition fantomatique...
Des apparitions fantomatiques comme ça, c'est encore supportable |
Vous ne croyez pas aux elfes ??
Pourtant, Alfred, c'est littéralement ... le Conseil des elfes !
Ælfræd est composé de Ælf et de ræd, ræd étant bâti sur la racine proto-indo-européenne *re-, "légiférer, conférer" - nous la retrouvons dans le néerlandais Raad ou l'allemand Rat, le Conseil (dans le sens de "conseil de la ville", "les instances dirigeantes"...).
Et Oliver, c'est ... l'armée des elfes !
Nous y retrouvons Ælf associé à here, issu de la racine proto-indo-européenne *koro- : la guerre, l'armée.
Oliver n'est donc pas la transposition anglaise du prénom français Olivier, qui lui vient bien de l'olive (provenant d'une racine évoquant l'huile).
Quant à Aubrey, ou Alberich, c'est ... le meneur des elfes !
Alb, c'est l'elfe en vieux haut-allemand, ici accolé à rich, provenant de la racine *reg- ("mener") déjà mentionnée plusieurs fois (voir des Bantous aux Teutons, ou Mort, nectar et liquidation de dette).
D'ailleurs, Aubéron, ou Obéron, selon de nombreuses légendes, c'est le roi des fées, ou des elfes...
*albho- nous a également légué, par l'intermédiaire du latin, le mot albumine, qualifiant cette protéine que l'on retrouve dans le blanc d'oeuf.
Et aussi Alba : le nom gaélique de l'Ecosse.
Mais aussi, n'en déplaise aux séparatistes Ecossais, Albion !
Albion, Alba... le même terme, sous diverses variantes, définissait à l'origine toute la Grande-Bretagne, cette île dont on apercevait les blanches falaises depuis le continent.
Vera Lynn, interprète de "White Cliffs of Dover" |
- Euh, d'autres dérivés de *albho- ?
- Mais oui, en voici encore quelques-uns :
- Les Alpes, désignant ces reliefs aux sommets enneigés,
- l'Elbe (fleuve d'Europe Centrale dont on peut penser qu'à l'époque, les eaux étaient blanches, ou en tout cas blanches d'écume,
- l'Albanie,
- l'album (désignant en latin une tablette à écrire de couleur blanche),
- l'ablette, ce poisson blanc, ou encore
- albinisme, albinos évidemment, ...
Il y aurait apparemment un androïde albinos sur cette photo(?) J'ai beau chercher, mais rien à faire, je ne le vois pas |
Frédéric
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5 commentaires:
Me ha encantado. Felicidades!
Gracias, Maite! :-)
N'oublions pas les Alba (parfois blondes), les Aube (avec ou sans majuscule), Alberico,les Montalbàn et autres Montalbano - commissaires ou pas - dont le nom vient de Mons Alb(an)us, la colline en Province de Messine sur laquelle Frédéric II d'Aragon fit ériger sa résidence d'été. Il y en a de moins drôles comme le doublement "blanc" .. Candida Albicans.. à l'origine de toutes sortes de maux dont le "muguet" (l'est pas blanc aussi ?) et, bien sûr, l'albâtre.
Dommage pour l'Albatros (pourtant blanc) qui vient de l'anglais, emprunté au portugais (Alcatraz, ben oui) qui l'emprunta à l'arabe "al-câdous" ou "al-ġaţţās" le pélican qui s'immerge.
Pas de chance non plus pour le Capitaine Harlock, mieux connu des Francophones sous le nom de "ALBATOR". Dommage vraiment parce que Alba et Bator ... Ca "le faisait" (бааτар en Mongol signifie le "Héro" Oulan Bator, c'est le Héro Rouge)... C'eût pu... Mais non. Tant pis. De toute façon, il aurait dû s'habiller en blanc, trop salissant ;-)
*bhel- nous a aussi donné Bielorussie ou Bélarus , la Russie Blanche
Oui, absolument!
Et sans *bel, l'un des plus grands acteurs du cinéma français s’appellerait Jean-Paul Mondo...
;-)
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