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dimanche 6 septembre 2020

Depuis qu'il vit avec Ségolène, il a perdu la ligne, Siegfried

  





On a beau rêver de boissons, mais quand on a réellement soif, il faut s'éveiller pour boire.


Introduction à la psychanalyse, XIV (1917),


Sigmund Freud








Bonjour à toutes et tous !


En ce dimanche 6 septembre 2020, nous continuons notre petit bonhomme de chemin à la découverte des dérivés de la perturbante racine indo-européenne...



*seǵʰ-e-, “dominer, posséder...”.





Commençons par faire le point.




De ses dérivés, nous connaissons déjà...

emprunté au latin schŏla, lui même emprunté au grec ancien σχολή, skholê, “repos, loisir,
  • école


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racine proto-indo-européenne *seǵʰ-e-, “dominer, posséder...

grec ancien ἔχω, ékhō“tenir, retenir, maintenir...
nom verbal σχολή, skholê, “repos, loisir” puis “activité intellectuelle faite à loisir
glissement de sens
en grec hellénistique, “étude, école philosophique
emprunt
latin classique schŏla, lieu où l'on enseigne
emprunt
ancien français escole, lieu où l'on enseigne
français école

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toujours passés par le grec ancien ἔχω, ékhō“tenir, retenir, maintenir...
  • schéma et Hector

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grec ancien ἔχω, ékhō“tenir, retenir, maintenir...
ἕκτωρ, héktōrqui tient bon, qui tient ferme” ,
skhêma, “attitude, forme, apparence...”

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passé cette fois par le proto-celtique *sego-“victoire, force”,
  • Segovia (Ségovie)



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racine proto-indo-européenne *seǵʰ-e-, “dominer, posséder...

proto-celtique 
*sego-“victoire, force
celtibère Segouia“La (Très) Forte
espagnol SegoviaSégovie

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toujours par le proto-celtique *sego-“victoire, force”, des composés, noms de lieux ou de personnes, qui nous donneront notamment
  • Segorbe, Seveux, Suin...
et

  • les gallois hy et hyder, le gaulois Segestica, d'où le grec Σεγεστική Segestikḗ

enfin, par le proto-germanique *segiz-“victoire”,
  • les gotiques 𐍃𐌹𐌲𐌹𐍃, sigis, “victoire” et 𐍃𐌹𐌲𐌹𐍃𐌻𐌰𐌿𐌽, sigislaun, “butin”,
  • le vieux norois sigr, “victoire”, d'où sigrún et Sigrún,
  • le vieil anglais sigor, “victoire
  • le vieux saxon sigidrohtin, “seigneur de la victoire”
  • le vieux frison sige, sī,
  • le 
    vieux néerlandais, sigi“victoire”, d'où le moyen néerlandais sēge, d'où le néerlandais zege“victoire”,
  • le vieux haut allemand sigi / sigu“victoire”, d'où le moyen haut allemand sige“victoire”, d'où l'allemand Sieg“victoire”




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racine proto-indo-européenne *seǵʰ-e-, “dominer, posséder...
neutre de radical en s- *seǵʰ-es-, “victoire
proto-germanique *segiz-“victoire
gotique 𐍃𐌹𐌲𐌹𐍃, sigis“victoire”,
vieux norois sigr, “victoire” (et dérivés),
vieil anglais sigor, “victoire, triomphe, succès
vieux frison sige, sī,
vieux néerlandais, sigi“victoire”, d'où moyen néerlandais sēge, d'où néerlandais zege“victoire”,
vieux haut allemand sigi / sigu“victoire”, d'où moyen haut allemand sige“victoire”, d'où allemand Sieg“victoire”

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Eh ben !



Vous vous rendez compte, j'espère, que tous (TOUS) ces mots sont étroitement liés à notre français école.

Que TOUS proviennent, par des chemins différents, d'un ancêtre commun, d'une seule petite racine indo-européenne multi-millénaire...



Chères lectrices, chers lecteurs, 

Dimanche dernier, je vous avais promis des prénoms construits sur le germanique *segiz-, “victoire”...

Pour les petits nouveaux,

les petits nouveaux

(re-)précisons que *segiz-, “victoire” provient de notre seǵʰ-e-, “dominer, posséder...par un mot indo-européen créé sur la racine, le neutre *seǵʰ-es-, “victoire”.



Bon.

Comme prénom illustre, nous pouvons déjà citer...

Sigiswald

Qui provient du vieux haut allemand Sigi-wald,  ce second terme wald, issu du proto-germanique *waldą, désigne la puissance, l'autorité.

C'est d'ailleurs toujours *waldą qui donnera le vieux haut allemand walt, ou encore le vieux norois vald, dont découle le danois vold.
 
Toujours lui derrière Walter, ou même notre sainte montoise, Waudru !

 

la collégiale Sainte-Waudru, Mons

 non, n'y pensez même pas. RIEN à voir



Nous pourrions donc comprendre Sigiswald comme “celui qui a le pouvoir de vaincre”.

Je ne saurais dire si cette définition si martiale de son prénom agrée Sigiswald Kuijken, mais il est certain que l'interprétation de la musique baroque ne serait pas la même sans ce grand violoniste et chef d'orchestre. 

Oui, oh, d'accord ! En plus, il est Belge, mais voyez-vous, amis Français, même si c'est quelque chose que beaucoup d'entre vous ne pouvez même pas simplement concevoir, c'est une caractéristique marquée des Belges : ils ne sont pas chauvins 
 
Oui, bon, hormis les Liégeois, mais on les comprend, ils sont de Liège.
 
Liège


Sigiswald Kuijken et La Petite Bande


Ah oui ! Et, amis Parisiens, n'essayez pas,
de grâce, 

de prononcer son nom. 

NON, il ne s'appelle pas Sijisvaldeuh Cuiquenneuh, mais plutôt Sikhisvald  (ce khi étant à mi-chemin entre le ch de loch et notre gKueillkeun.

Keuill comme dans cueillir, keun comme dans que nenni.




Autre prénom remarquable,

Sigebert (ou Sigeberht, ou Sigibert, ou Sigisbert...)
 
Sigi-berht, berth signifie littéralement brillant, d'où illustre...

Sigebert pourrait donc se comprendre comme “brillant, étincelant de victoire”.


Le prénom Sigebert a été porté par plusieurs rois francs, dont...
  • Sigebert le Boiteux, mort en 507, et qui était apparenté à Clovis,  
  • le mérovingien Sigebert 1er, né vers 535 et mort en 575,
  • Sigebert II, 602 - 613,
ou encore
  • Sigebert... III !, né en 630 et mort (assassiné) en 656, et peut-être mieux connu sous le vocable Saint Sigisbert ; il fut le fondateur de plusieurs monastères bénédictins, dont ceux de Stavelot, Malmédy et Cugnon.

l'abbaye de Stavelot



Il est toujours le saint patron de Nancy.

lycée Notre-Dame Saint-Sigisbert, Nancy





L'interprétation baroque ne serait pas la même sans Sigiswald Kuijken. 

Mais Der Ring des Nibelungen (L'Anneau du Nibelung) ne serait pas non plus tout à fait le même sans... Siegfried.

Mais oui, évidemment, il y a aussi le prénom... Siegfried !

Avec -fried comme deuxième terme, du germanique *-frið, “paix”.
Siegfried : “La victoire dans la paix, la paix victorieuse” ?

Ah, Siegfried, comme dans ligne Siegfried, cette ligne de défense similaire de la Seconde Guerre mondiale, construite par l'Allemagne entre 1938 et 1940 en face de la ligne Maginot...

Ligne Siegfried en était le nom français, car les Allemands l'appelaient, et à juste titre, Westwall.

Nous ne pûmes la prendre qu'à la fin de la guerre...

(Par nous, j'entends les Alliés. Si vous êtes plutôt du côté FN, Nigel Farage ou Vlaams Belang, comprenez les sales Alliés ne purent nous la prendre...)


On ira pendre notre linge sur la ligne Siegfried...


soldat américain accrochant son linge sur la ligne Siegfried



Á l'origine de Siegfried
- je parle du héros mythologique -,
il y a... Sigurd (ou Sigurðr en vieux norois), héros légendaire de la mythologique nordique, qui apparaît dans plusieurs poèmes - héroïques, forcément - de l'Edda poétique, compilée au XIIIème. 

Sigurd, composé dont le deuxième terme descend du germanique *-ward, pour “protection”.


Siegfried (le héros mythologique, allez, on fait un effort) n'est en réalité que la version continentale
-  et disons-le, christianisée -
de l'original Sigurd.

Siegfried, dans Die Nibelungen, 1924
Fritz Lang


Et c'est la Marche funèbre de Siegfried (Siegfrieds Trauermarsch), cet interlude orchestral qui sépare les scènes 2 et 3 de l'acte III du Crépuscule des dieux (Götterdämmerung) de Richard Wagner, que reprendra John Boorman dans son sublime Excalibur, pour illustrer le retour d'Excalibur à la Dame du Lac, et - non pas la mort ! -, le départ en dormition d'Arthur. 

Excalibur est encore un de ces films qui m'aura marqué à vie.



- Fous Foyez dans Exgalipur un sympole valique, n'est-ze-bas ?
- Euh, je ne pense pas, non, mais euh... mais qui êtes-vous, Monsieur ?
- Mais je zuis Sigmound Froïd !

 Sigmund Freud,
né Sigismund Schlomo Freud,
6 mai 1856 – 23 septembre 1939



Oui, logique. Sigmund.

Composé des vieux hauts allemands Sigu et -munt, “main”, d'où “main protectrice”, d'où “protection, sécurité”.
“La sécurité par la victoire” ? 

 (Sigmund, ou même ses variantes Siegmund, Sigismund, ou même sa francisation... Sigismond.)


Je ne vous ferai pas l'injure de vous préciser que Saint Sigismond fut roi des Burgondes de 516 à 523.




Curieusement, il est toujours vénéré tant par l'Église catholique que l'Église orthodoxe, qui devaient visiblement maîtriser l'étymologie de son prénom
- et prendre ce dernier au pied de la lettre -,
car elles le considèrent comme le protecteur des hommes d'armes.



Enfin, enfin, enfin...

Mais oui, je sais que vous l'attendez tous, que certains d'entre vous l'avaient déjà deviné, que vous mourez d'envie de le scander tous ensemble, avant de reprendre une coupe de Bollinger....


Ségolène !


Ségolène n'est pas dérivé, comme on pourrait le croire à première vue, du celtique *sego-, “victoire, force”.

- Sé-go-lène, Sé-go-lène, Sé-go-lène, Sé-go-lène !

Eh non, Ségolène provient du prénom germanique médiéval Sigolina, attesté en France sous une série de formes latiniséesSegelina, Sigilina, Siclina...

Il s'agit de la forme féminine du nom (masculin, on suit)... Sigolin, latinisé, lui, sous les formes Segolenus, Sigolenus, Sigolonus, Siglinus, Syggolenus... 


- Sé-go-lène, Sé-go-lène, Sé-go-lène, Sé-go-lène !


Ces Sigolina et Sigolin ne sont que des variantes de Sigilina et Sigilin, eux-mêmes diminutifs de, respectivement, Sigila et Sigilo.

Jusque là, vous suivez ? 

- Sé-go-lène, Sé-go-lène, Sé-go-lène, Sé-go-lène !
- Bon, maintenant ÇA SUFFIT !

 

Car ce n'est pas tout...

Sigila et Sigilo étant eux-mêmes les diminutifs de, respectivement, Siga et Sigo !
Construits, bien évidemment sur sigi, “victoire”.

- Sé-go-l...
COMMENT ?

- Nnnn...on, non, rien ! Pas la tête !


Sé-go-lène, Sé-go-lène, Sé-go-lène, Sé-go-lène








Passez un excellent dimanche, et une très belle semaine.
Portez-vous bien, 




Frédéric, 



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on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter...

Restons dans le germanique, voulez-vous ?

Du BACH !
 
Avec l'ensemble vocal britannique VOCES8,

qui nous interprète ici Jesus bleibet meine Freude,

tiré de la cantate Herz und Mund und Tat und Leben, BWV 147

Et puis, écoutez ce haut-bois en contrepoint !

https://www.youtube.com/watch?v=T5Df7f_BLU8



Et si vous avez aimé, alors vous vous délecterez de cette version a cappella de Lux Aeterna,
tiré des Enigma Variations d'Edward Elgar

Mais quelle merveille...

https://www.youtube.com/watch?v=IwdeqVmXlHk


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4 commentaires:

jean-claud a dit…

J'ai une amie allemande, Siegried.Fait-elle partie de cette famille?

Giellesse a dit…

Encore une très belle promenade à travers le temps, et qui donne envie, accessoirement (mais est-ce si accessoire ?) de revoir Excalibur.
Merci Frédéric.

Frédéric Blondieau a dit…

Bonjour,

Je suppose que son prénom vient bien de là, même si je vous avoue être surpris que ce prénom soit utilisé au féminin (c'est plutôt Siegrid qui est usité dans ce cas).

Frédéric Blondieau a dit…

Bonjour Giellesse,

Merci de votre appréciation !

Et oui, je ne peux que recommander la vision d'Excalibur, encore et encore... Je l'ai vu des dizaines de fois, mais je ne m'en lasse pas.
Frédéric