- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 21 novembre 2021

Liam, je suis contente que tu sois venu au bal.

 



    Liam, je suis contente que tu sois venu au bal.
    Et je suis sûre que ton beau-père sera content, lui aussi.
    C'est un pas dans la bonne direction.
    Amusez-vous bien à explorer le quartier.

traduction d'une réplique de Kelly,
dans cette remarquable série parodique qu'était Beverly Hills, 90210

Quoi, ce n'était pas parodique ? Oups, pardon.


Brandon et Kelly.
Ça ne s'invente pas.




Bonjour à tous !

Nous sommes encore et toujours à rechercher les dérivés de la racine indo-européenne…


*kelh-, “battre, frapper”.



Allez, le point.

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Le 10 octobre 2021, à la recherche de l'étymologie du français calamité, nous étudiions les latins
  • călămĭtāsfléau, malheur, défaite, ruine...”,
et
  • incolumis, “sain et sauf, non endommagé...”, d'où 
  • l'espagnol incólume,
  • l'italien incolume,
  • le portugais incólume.
      Călămĭtās et incolumis pourraient peut-être descendre de la racine indo-européenne *kelh-, “battre, frapper”.

      En revanche, le latin clādēs, “destruction, désastre, défaite...”, en est un parfait dérivé.

      Nobis omnes conscii sumus...10 octobre 2021

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      Le 17 octobre, nous découvrions un beau dérivé latin de notre racine *kelh-, “battre, frapper”, 
      •  -cellō“frapper”, sur lequel seront composés les latins...
      • percellō, percellere“abattre, terrasser, heurter avec violence...”,
      • recellō, recellere“reculer, rebondir (vers l'arrière) ...”,
      et
      • procellō, prōcellere, “porter en avant, jeter violemment en avant, renverser...”, et en mode pronominalse prōcellere“se jeter en avant, s'allonger...”.
      De procellō dérivera prŏcella, tempêteorageouragan”, d'où...
      • le portugais procela, de même sens, 
      et nos moyens français...
      • procelletempête”,
      • procellé“produit par l'orage”,
      • procelleux“tempétueux”.
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      Le 24 octobre, nous avons tenté de trouver des dérivés grecs anciens à notre racine, mais sans grand succès…
      • κλάω, kláô“briser, casser...”, est vraisemblablement emprunté au substrat pré-grec,
      et pour ce qui est de
      • κλάδος, kládos, “branche, jet, brindille...”, son étymologie est peu claire ; il pourrait s'agir d'un emprunt au substrat pré-grec, ou d'un dérivé de la racine indo-européenne *kdo-“(morceau de) bois.
       
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      Le 31 octobre, nous poursuivions, avec persévérance mais sans trop d'espoir, notre quête des dérivés grecs anciens de notre racine, toujours sans grand succès...
      κλαδαρόςkladarós, “invalide, infirme...est vraisemblablement un emprunt au substrat pré-grec,et 
      • κόλος, kólos, “tronqué, écorné, écourté, raccourci...est également probablement emprunté au substrat pré-grec.
      Nous avions également épinglé quelques emprunts savants que le français avait créés sur le grec ancien, comme claste, le suffixe -claste, clastique, le suffixe -clastique, panclastite, anaclase...

       
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      Le 7 novembre, nous avons abordé les dérivés celtiques de notre belle *kelh-, “battre, frapper”, avec...
      • le vieil irlandais claidid, ·claid“creuser”, d'où l'irlandais claidh et le gaélique écossais cladhaich,“creuser”,
      • le moyen breton clazafaire une tranchée, creuser”, d'où le breton klazañ,
      et enfin 
      • le moyen gallois cladducreuser, creuser une tombe”, d'où le gallois claddu.

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       Le 14 novembre, nous avons traité d'une nouvelle série de dérivés celtiques de notre *kelh-, “battre, frapper” :
      • le moyen irlandais clad, clod“trou creusé dans le sol, tranchée”,
      • les moyens gallois cladd“fosse, fosséet clawd, “levée de terres, fossé, fosse, rempart”,
      • le moyen breton kleuz“levée de terre, talus
      • le gaulois cladia, clado-fossé, tranchée, vallée creuse, d'où de beaux toponymes gaulois créés sur cladia, clado- :
          • Uindo-cladia“la Tranchée Blanche”, aujourd'hui Badbury Rings, dans le Dorset
          • Uo-cladum“Double Fossé” ou “Sous-Tranchée” ; le latin Vocladum devenu... Vouillé, dans la Vienne.
         
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        Chers amis lecteurs, 

        Dans la foulée des proto-celtiques *klad-o-“creuser, enterrer”, et *klādo-, *klado-, “tranchée”, je vous propose de continuer à parcourir, à notre aise, les dérivés celtiques de notre petite indo-européenne *kelh-, “battre, frapper”.


        Avant tout, creusons un peu plus


        autour de ses dérivés bretons.


        Mon exemplaire du Al Liamm,
        excellent dictionnaire breton / français,


        me raconte que de nombreux mots bretons sont construits sur ce radical klaz / kleuz, déjà entrevu avec le moyen breton et breton kleuz“levée de terre, talusou le breton klazañfaire une tranchée, creuser”.

        Citons ainsi les bretons...
        • kláz, tranchée, crevasse faite avec une pelle”,
        • kleuzadenn, endroit creusé, cavité”,
        • kleuzadur, “creusement”,
        • kleuzded, qualité de ce qui est creux”,
        ou même
        • kleuzenn, “lieu creux, cavité, mais aussi “arbre creux”, ou alors carrément “vieille femme décrépite” !
        Osez la traiter, seulement, de kleuzenn ! 


        • kleuziad, c'est encore le contenu d'un fossé,
        et
        • kleuzier, celui qui en fait, des fossés : le... fossoyeur.

        Le Fossoyeur du cimetière Saint-Jean à Tréboul,
        Henri Rivière, ca 1895


        N'oublions pas non plus ces toponymes, comme par exemple Cleuyou, Kleuyoù, provenant de Kleuz, et désignant des fossés avec talus, des retranchements.




        Pour tout vous dire
        - c'est pas compliqué -,
        selon l'association pour la promotion du patrimoine
        (ou matrimoine, pour les vaillants et si intelligents et subtils militants anti-patriarcat, binaires ou non)
        d'Ergué-Gabéric (source), Kleuzioù apparaît 16 fois dans la toponymie de Bretagne.


        Il y a encore le manoir du cleuyou...



        Ou même Korn ar c’hleuz, qui se situe à l’est de la pointe d’ar Gammes...

        Korn ar c’hleuz, au premier plan
        (source)



        Soit dit en passant, je trouve ces non-binaires particulièrement binaires, moi : si vous n'êtes pas d'accord avec leurs fumeuses théories "woke", vous êtes un sale réac (au mieux), ou alors, tout simplement, un facho.




        À présent, je vous soumets un autre étymon celtique qui pourrait peut-être être issu de 
        *kelh-, “battre, frapper”, que Ranko Matasović reconstruit sous la forme *klāro-, auquel il attribue le sens de planche, et qui va nous ramener
        - vous allez le voir -
        quelques articles en arrière...

        (ce n'est pas compliqué, il suffit de 1,21 gigowatts)



        Selon Matasović, ce *klāro- descendrait d'un substantif indo-européen, *klehro-, “planche”. 

        Et, selon ses dires, il est probable que *klehrosoit dérivé de notre *kelh-, “battre, frapper”.

        Oui, ce rapprochement s'expliquerait par une autre acception de *kelh-, “battre, frapper” : “casser, couper, abattre”, somme toute assez logique, car spécialisation de son sens premier.


        Et qui dit abattre un arbredécouper du bois,

        le sketch du lumberjack,
        le bûcheron canadien non-binaire,
        par Monty Python
        (le sketch en entier est ici)

        pense immanquablement
        - ben oui -
        à une planche de bois.

        une planche (de bois)




        Ce beau *klāro-, “planche” pourrait expliquer...
        • le vieil irlandais clár“planche, article plat, surface”,
        • le vieux gallois claur, d'où le gallois clawr“couvercle, planche”,
        ainsi que
        • le moyen breton cleür, kleur, d'où le breton kleur“limon de charrette, cheville du limon”.


        Et c'est ici qu'il faut disposer de 1,21 gigowatts...



        Car, vous l'avez compris, Matasović n'est pas entièrement sûr de cette étymologie, de ce rapprochement entre *klāro- et *kelh-...
        (celtique *klāro-, “planche” ⇐  indo-européen *klehro-, “planche” ⇐ racine indo-européenne *kelh-, “battre, frapper ; abattre, découper).

        Eh non.
        Il émet une autre possibilité...

        Qu'il s'agisse d'une isoglosse
        - un trait linguistique ; relisez donc ceud mìle fàilte chez les Tochariens (A), qu'on n'en parle plus -
        propre au celtique et au... grec ancien, qui impliquerait une autre racine indo-européenne, *klh-, “mettre en place, fixer...”. 

        Oui. Et que le proto-celtique *klāro-, “planche”,  ferait ainsi écho au grec ancien κλῆρος, klêros, notamment “parcelle de terrain”.

        - Mais ???
        - Je sais, oui. Il faut savoir que κλῆρος, klêros, désignait originellement un bout de bois qui servait à délimiter une... parcelle... Eh !

        Mais... qu'en pense Robert Beekes ? Mmmh ?
        Pour Beekes, oui, le sens originel de κλῆρος, klêros, était bien celui d'un bout de bois délimitant une parcelle.

        Mais
        (avec Beekes, il y a souvent un mais)
        même si, pour lui, la relation entre le grec ancien κλῆρος, klêros et le proto-celtique *klāro-, “planche”, est formellement acceptable, elle n'en reste pas moins douteuse pour des raisons sémantiques (qu'hélas il n'explicite pas).

        Pour Beekes, pas question d'isoglosse, pas question d'origine commune à ces mots celtiques et grecs anciens. Non, le grec ancien κλῆρος, klêros aurait probablement une origine...
        - allez, tous ensemble ! -

        pré-grecque.

        D'où ce joli ◀ PG? ▶ qui accompagne κλῆρος dans son somptueux dictionnaire.




        Allez, un p'tit dernier, pour la route.
        (Nous en terminerons avec les dérivés celtiques de notre *kelh-, “battre, frapper la semaine prochaine, et nous nous permettrons même un second retour vers le passé, cette fois vers l'article de départ de cette étude, Nobis omnes conscii sumus....)


        Voici l'étymon celtique... *kellāko-“combat, guerre”.

        C'est par lui que R
        anko Matasović explique...
        • le moyen irlandais cellach“conflit, dispute”.
        Ce qui vous fait une belle jambe, je sais.

        Mais sachez quand même que ce cellach est devenu un prénom (masculin) irlandais
        (Cellach, pour les comprenant bien mais plus lentement)
        qui, anglicisé, a donné Kelly (ou Kelley, en graphie irlandaise)...


        Et
        - voyez comme la vie des bisounours est belle -
        il est devenu épicène. Si si.

        Dans les années 60, il a commencé à s'employer pour baptiser des filles, même s'il est encore parfois attribué à des garçons (mais alors, probablement déconstruits, hein).
        (Euh, j'avoue ne pas savoir ce qu'il en est des non-binaires...)



        aaaargh (c'est du vieil irlandais),
        la magnifique actrice irlandaise
        Kelly Reilly



        Enfin, le théonyme gallo-romain Sucellos, par ailleurs uniquement attesté sous sa forme latinisée Sucellus, pourrait bien être apparenté à ce celtique *kellāko-“combat, guerre”.

        Ce que ne dément pas Delamarre, qui nous précise même que le dieu Sucellos
        - je le cite : -
        est représenté, à côté de sa parèdre (sa divinité associée) Nantosuelta, tenant un marteau ou plus exactement un maillet à long manche.

        Nantosuelta et Sucellos,
        sur un autel à Sarrebourg
        (source)



        Les inscriptions sur cet autel ? Mais bien sûr :

        Deo Svcello /
        Nantosvelte /
        Bellavsvs Mas /
        se Filivs V(otum).S(olvit).L(ibens).M(erito)


        Ce qui se traduirait par : 
        Pour le dieu Sucellos et Nantosuelta, Bellausus, fils de Massa, a volontairement et à juste titre accompli son vœu.


        Pour Delamarre, cellos désignerait le marteau, ou le frappeur.

        Considérant que le préfixe su- signifie “bon-, bien-”, le théonyme Su-cellos signifierait “le bon frappeur”, ou même, “Qui a un bon marteau”.




        Notez cependant que Delamarre propose aussi une autre étymologie possible, qui ne ferait pas de Sucellos un dérivé de notre *kelh-, “battre, frapper”, et qui permettrait de le traduire en “Celui à l'attention duquel rien n'échappe”.
        (Mais, tout à fait entre nous, j'ai l'impression qu'il s'est senti obligé de citer cette étymologie alternative, et qu'il n'y croit pas vraiment...)





        Et là-dessus, je vous souhaite, à tous,
        un excellent dimanche, une heureuse semaine.





        Frédéric



        ******************************************
        Attention,
        ne vous laissez pas abuser par son nom :
        on peut lire le dimanche indo-européen
        CHAQUE JOUR de la semaine.
        (Mais de toute façon,
        avec le dimanche indo-européen,
        c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

        ******************************************

        Et pour nous quitter,

        quoi de plus naturel qu'un doux chant irlandais,

        délicieusement interprété par le chœur des

        Scholars of University College Dublin ?


        Cette délicieuse ballade irlandaise,

        Wild Mountain Thyme,

        est en réalité l'adaptation, par le musicien de Belfast Francis McPeake (1885-1971),
        d'une chanson écossaise écrite par les Écossais 
        Robert Tannahill (1774-1810) et Robert Archibald Smith (1780-1829), 

        The Braes o' Balquither.
         

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        ******************************************

        article suivant : B 'ann mun àm seo a ghabh an Rìgh Herod grèim air cuid a bhuineadh dhan eaglais

        6 commentaires:

        Unknown a dit…

        Su-cellos, bon ; et ver-cellius- "le grand frappeur"; Delamarre dixit.
        setait-ce l"tymologie du nom de Virgile ? J'extravague, là, peut-être...
        Merci en tout cas pour votre "dimanche", qui n'est pas "sombre" !
        jean Rigouste Agen Fr

        Thierry Hoornaert a dit…

        Je confirme d'avoir été fort frappé par Kelly dans ma jeunesse ...

        Merci Frédéric et bon dimanche à tous !

        FOX Bernard a dit…

        Que serait les dimanches matin dans toi depuis des années maintenant? Merci Frédéric

        Frédéric Blondieau a dit…

        Cher Jean, merci à vous, de me lire, et puis de faire cette élégante proposition.
        L'étymologie de "Virgile" est hélas obscure, et semble provenir de l'étrusque...
        Je n'ai rien trouvé qui la relierait au celtique, en tout cas...

        Frédéric

        Frédéric Blondieau a dit…

        Ahaha, Thierry, oui, je peux PARFAITEMENT te comprendre !! :-D

        Merci à toi, passe un excellent dimanche !
        Frédéric

        Frédéric Blondieau a dit…

        :-) Oh, Ben, pfff, je ne sais pas quoi dire. Si : MERCI, mon ami !
        Fred