article précédent : le dimanche indo-européen passe enfin à l'in*klus-ī-vité
“Emmitouflé dans son manteau d'ours déjà détrempé par les embruns et la bruine, Ryderc contempla les contreforts abrupts qui marquaient la limite nord de son royaume, suivit des yeux les méandres de la rivière Leven venant se jeter dans le grand fleuve, puis s'arrêta sur la ville basse, nichée au creux des deux sommets jumeaux abritant sa capitale. Une forteresse naturelle que les moines appelaient Petra Coithe, le rocher de la Clyde, mais que les hommes de la garnison surnommaient y Bronnau Du, les Seins Noirs, tant les deux mamelons volcaniques qui dominaient l'estuaire évoquaient, vus de la mer, une sombre poitrine. La plus ferme et la plus orgueilleuse qui puisse se voir d'un bout à l'autre de la terre. Les seins de la déesse Clota, gardienne de la rivière et protectrice de son royaume...”
Le Pas de Merlin, 2002,
Jean-Louis Fetjaine
Bonjour à toutes et tous !
En ce dimanche 7 février 2021, nous toujours sommes plongés, pour certains, dans la neige, et pour d'autres, dans l'étude des dérivés de l'étonnante racine indo-européenne...
- Ludwiiiiiig !, pour la nième fois ! - Aber... Was ?, 20 décembre 2020
Et aussi que ce *hlūda- est à l'origine de l'anglais loud, “bruyant, sonore”, ou encore du néerlandais luid, de même sens.
Nous avons ensuite appris que par *ḱleus-, une forme allongée de notre *ḱleu-, “entendre”, nous arrivaient notamment l'allemand lauschen et l'anglais listen, “écouter”.
The Audience is Listening, 27 décembre 2020
Nous avons découvert, également, que (notamment) le vieux norois hljóð, “écoute, son, silence”, l'allemand littéraire Leumund, “réputation...”, ou l'islandais hler, “écoute, écoute aux portes”, en provenaient.
l'inspecteur Clouseau écoutait aux portes, 3 janvier 2021
Nous savons encore, depuis le 10 janvier 2021, que de notre *ḱleu-, “entendre”, descendent l'islandais hlýr, “joue”, “avant d'un navire”, “joue d'une hache”, ou même l'anglais (obsolète) leer, “joue, visage, complexion...”.
Au nombre des dérivés latins, cette fois, de *ḱleu-, “entendre”, nous avons clueō, “on m'appelle” et inclitus / inclutus, “illustre, fameux”, ce dernier emprunté... en italien, avec inclito, en portugais, avec ínclito, et en espagnol, avec ínclito.
Otros la cantarán con más fortuna..., 17 janvier 2021
En grec ancien, une myriade de dérivés nous attendaient, comme...
- κλῠτός, klutós, “renommé, glorieux...”,
- κλέος, kléos, “rumeur, renommée, réputation...” et une série de composés où il apparaît, de Ἀντίκλεια, Antíkleia, “Anticlée“, à Κλεοπάτρα, Kleopátra, “Cléopâtre”, en passant par, par exemple, Εὐρῠ́κλειᾰ, Eurúkleia, “Euryclée“.
Entre Anticlée et Euryclée, Ulysse ne savait pas trop à quel sein se vouer, 24 janvier 2021
Nous avons ensuite découvert quelques très beaux dérivés celtiques de notre *ḱleu-, comme..
le breton klevout, “entendre ; ressentir”, le vieil irlandais rocluinethar, “entendre”, l'irlandais et le manxois cluin, le gaélique écossais cluinn, le gaulois clouiou, le gallois clywed, le cornique klywes, “entendre...”.
le dimanche indo-européen passe enfin à l'in*klus-ī-vité, 31 janvier 2021
🜛🜛🜛
Bon !
Nous nous contenterons, aujourd'hui, de continuer à passer en revue les dérivés celtiques de notre belle indo-européenne *ḱleu-, “entendre”.
Aujourd'hui, nous allons nous mettre sous la dent l'étymon proto-celtique...
*kluto-, “renommée”
Comme par hasard, c'est par l'indo-européen *ḱlu-to- que le celtique *kluto-, “renommée”, descend de notre chère *ḱleu-, “entendre”.
Ben voyons.
Comme si on allait oublier que c'était par là qu'en descendaient déjà le
grec ancien κλῠτός, klutós, “renommé, glorieux...”, le
sanskrit श्रुत, śruta, “entendu”, et le
latin inclitus / inclutus, “illustre, fameux”.
Ouais.
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racine proto-indo-européenne *ḱleu-, “entendre”
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timbre zéro *ḱlu-
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forme *ḱlu-to-
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grec ancien κλῠτός, klutós, “renommé, glorieux...”,
sanskrit श्रुत, śruta, “entendu”,
latin inclitus / inclutus, “illustre, fameux”
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Eh bien, de cette forme de degré zéro *ḱlu-to-,
dont est issu le celtique (reconstruit) *kluto-, “renommée”,
descendra,
dans les langues celtiques continentales...
le gauloiscluto- (ou clouto-), “renommé, célèbre”.
C'est ce cluto- que nous retrouverons dans une série d'anthroponymes gaulois, comme...
- Aclutius, littéralement “Très-Renommé”,
- Ueni-clutius, “Renommé-par-sa-lignée”,
- Cluto-rigi, “Roi-fameux”,
ou encore
- Ueru-cloetius, “À-la-Vaste-Renommée”.
Et c'est encore lui qui se cache derrière Cloutius, ce nom de personne attesté par plusieurs inscriptions de la péninsule ibérique, comme dans celle-ci,
CLOVTIVS DOVITERI F(ILIVS) AN(NORVM) LXV S(IT) T(IBI) T(ERRA) L(EVIS),
découverte à Hinojosa de Duero, à l'extrême ouest de la province de Salamanca, et mentionnant un homme prénommé Cloutius, fils de Doviterus, décédé, non pas dans ses Levis
- je vous connais -,
mais à l'âge de 65 ans (source) ; l'inscription funéraire Sit tibi terra levis, abrégée en S.T.T.L., se traduisant par le beau que la terre te soit légère.
H.S.E. pour Hic situs est ou Hic sita est, “il (ou elle) repose ici”, S.T.T.L., Sit tibi terra levis |
jeune Romain en Jeans |
Hinojosa de Duero |
Hinojosa de Duero sur la gauche, Salamanca sur la droite |
Dans les langues gaéliques, à présent, mentionnons, toujours comme dérivés de l'étymon celtique *kluto-, “renommée”...
- le vieil irlandais cloth, “renommée, honneur, réputation”,
- d'où l'irlandais cloth, de même sens,
- le nom féminin gaélique écossais Clota, littéralement “Renommée”, nom que portait une déesse celtique
- la déesse Clota, pour ceux qui n'ont pas encore pris leur café -
et qui est passé à un fleuve, écossais, dont elle était la protectrice.
Ce fleuve Clota est connu à présent sous le nom... de Clyde river.
La Clyde, qui traverse Glasgow et débouche dans le Firth of Clyde, est, avec ses 176 km, le neuvième plus long fleuve du Royaume-Uni (bof), mais surtout le deuxième d'Écosse (la Tay étant le premier).
la Clyde |
l'estuaire (en scots, firth) de la Clyde, et la Leven, venant du nord, qui s'y jette |
Dans les langues brittoniques, enfin, le celtique *kluto-, “renommée”, nous a donné...
- le - YES YES YESSSSSS !!! - moyen gallois clod,
d'où le gallois clod, “renom ; fameux, renommé”,
- le cornique clos,
ou enfin
- l'ancien breton clot, “gloire, renom”,
d'où le moyen breton klod, puis
le breton klod, “gloire, renom”, dont dérive notamment le bretonklodus, “glorieux, renommé, illustre”.
Et si on représentait l'évolution de *ḱleu-, “entendre” jusqu'à ce br
eton klod, “gloire, renom”, hein, hein ?
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racine proto-indo-européenne *ḱleu-, “entendre”
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timbre zéro *ḱlu-
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forme *ḱlu-to-
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proto-celtique *kluto-, “renommée”
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ancien breton clot, “gloire, renom”
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moyen breton klod
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breton klod, “gloire, renom”
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Et si l'on prend un peu d'altitude,
et que l'on s'amuse à représenter quelques-uns des cognats indo-européens de ce même breton klod, on obtiendra...
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racine proto-indo-européenne *ḱleu-, “entendre”
⇓
timbre zéro *ḱlu-
⇓
forme *ḱlu-to-
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grec ancien κλῠτός, klutós, “renommé, glorieux...”,
sanskrit श्रुत, śruta, “entendu”,
latin inclitus / inclutus, “illustre, fameux”,
gaulois
cluto- (ou clouto-), “renommé, célèbre”,
gaélique écossais Clota, “Renommée”,
irlandais cloth, “renommée, honneur, réputation”,
gallois clod, “renom ; fameux, renommé”,
breton klod, “gloire, renom”
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Eh ben !
Et donc, nos Louis, Ludwig et Clovis, les anglais loud et listen, les allemands lauschen, “écouter” et Leumund, “réputation...”, l'islandais hler, “écoute, écoute aux portes”, l'espagnol ínclito, “illustre...”, nos Anticlée, Euryclée, Damoclès, Empédocle, et Héraclès, et puis le vieil irlandais rocluinethar, le gaulois clouiou et le breton klevout,
mais aussi...
le gaulois ,
cluto-, “renommé, célèbre”, le
gaélique écossais Clota, “Renommée”, l'irlandais cloth, “renommée, honneur, réputation”, le gallois clod, “renom ; fameux, renommé”, le
breton klod, “gloire, renom”
et même l'anglais Clyde !
TOUS (TOUS !!!) sont cousins, TOUS proviennent d'une seule et unique petite racine indo-européenne...
Merci qui ?
Mais oui, merci... l'indo-européen.
Nous, on se retrouve dimanche prochain, pour la suite, toujours celtique, de nos folles aventures en compagnie de l'aimable *ḱleu-, “entendre”.
D'ici là, protégez-vous, prenez soin de vous et de vos proches,
Portez-vous bien.
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter en beauté...
Oui, encore eux !
La chorale estudiantine de la University College Dublin School of Music,
The Choral Scholars of University College Dublin
Avec, cette fois-ci, une douce, douce berceuse,
The Gartan Mother's Lullaby
(“la berceuse de la mère de Gartan”, Gartan étant une paroisse du comté de Donegal.
Si la mélodie s'inspire d'un air traditionnel, les paroles datent, elles, du tout début du XXème.
Et si la berceuse est en anglais, l'un de ses charmes indéniables est qu'elle égrène les noms d'une série de personnages de la mythologie irlandaise, ainsi que d'autres références à la terre d'Irlande,
tout ça en gaélique irlandais...
Ainsi, et dans notre démarche de vulgarisation (source),
Aoibheall, c'est la reine des fées du comté de Clare,
Aoibheall |
Leanbhan désigne le petit enfant,
Siabhra est le nom générique pour toutes créatures féeriques,
Tearmann, c'est le village de Termon, près de Gartan...
(La légende veut que Colomba d'Iona y soit né)
Tearmann |
une pensée pour mon père, devant le monastère d'Iona, fondé par Colomba, haut lieu spirituel, où christianisme et celtisme se sont enrichis l'un l'autre |
Et avec des couleurs, pour les mal-comprenants :
- refrain -
Sleep, O babe, for the red bee hums
The silent twilight's fall
Aoibheall from the Grey Rock comes
To wrap the world in thrall.
A leanbhan O, my child, my joy,
My love and heart's desire,
The crickets sing you lullaby
Beside the dying fire.
Dusk is drawn, and the Green Man's Thorn
Is wreathed in rings of fog:
Siabhra sails his boat till morn
Upon the Starry Bog.
A leanbhan O, the paly moon
Hath brimmed her cusp in dew,
And weeps to hear the sad sleep-tune
I sing, O love, to you.
Faintly sweet doth the chapel bell
Ring o'er the valley dim:
Tearmann's peasant-voices swell
In fragrant evening hymn.
A leanbhan O, the low bell rings
My little lamb to rest
And angel-dreams, till morning sings
Its music in your breast.
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6 commentaires:
Bonjour Frédéric,
Après Mo Ghille Mear (que je me repasse en boucle depuis sa découverte) et l'article de ce dimanche, une question me taraude: Ce cher Bonnie a-t-il navigué sur la Clyde?
Très belle semaine à toi!
Bonjour LeScrat,
On sait en tout cas que l'armée jacobite, peu avant Culloden, de retour d'Angleterre, a traversé la vallée de la Clyde en route vers Glasgow...
Merci, excellente semaine à toi !
On peut donc parler de Bonnie on the Clyde ;-)
LeScrat, tilt !
De fait ! :-)
Je suppose que le nom Cloud (non, pas le "nuage", mais le nom propre"Saint Cloud") vient de la même racine ?
Ce qui est formidable en vous lisant c'est qu'on devient intelligent !
Bonjour, Marie-Claire,
Je n'y avais pas pensé, mais oui, vous avez parfaitement raison : Cloud provient de la même racine, par la voie germanique (comme Ludwig ou Clovis).
:-)
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