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dimanche 11 septembre 2022

La culture, ce n'est pas ce qui reste quand on a tout oublié, mais au contraire, ce qui reste à connaître quand on ne vous a rien enseigné.





« La culture, ce n'est pas ce qui reste quand on a tout oublié, mais au contraire, ce qui reste à connaître quand on ne vous a rien enseigné. »

Jean Vilar.


Il a dit aussi...

« Le théâtre est une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain et le vin... Le théâtre est donc, au premier chef, un service public. Tout comme le gaz, l'eau, l'électricité. »




Jean Louis Côme Vilar,
Sète, le 25 mars 1912 - Sète, le 28 mai 1971,
comédien, metteur en scène, directeur de théâtre et auteur.
Il créa le Festival d'Avignon, en 1947 (mais uniquement le In,
pas le Off, ne mélangeons pas tout, je vous prie)
qu'il dirigera jusqu'à sa mort. 






Chers lecteurs, bonjour.

Il s'agit pour nous, en ce dimanche 11 septembre, de poursuivre résolument l'étude des dérivés de cette petite racine indo-européenne, la délicieuse...



... *ueiḱ-« l'endroit où l'on s'installe… ».




Nous avons découvert cette racine le 24 juillet, avec
  • le tokharien B īke, pour « lieu, endroit ; position ». 

Nous en avions même repris quelques attestations, comme :
  • snaice tallānt ikemem, « depuis un lieu pauvre, misérable »,
  • sañ mäskelye yakene, « à l'endroit qui lui était assigné »,
  • sle-tassäntse ikene« en lieu et place du commandant de la montagne », 
ou encore
  • tumem c[ai] brāhmani tot ike-postäm̥ ynemane Aran̥emiñ lānte yapoyne kamem̥, « alors, ces brahmanes, se déplaçant de lieu en lieu (ike-postäm̥), arrivèrent au royaume du Roi Aranemin ».


Le 31 juillet, nous avons débusqué,

dans les langues germaniques, cette fois,

le gotique 𐍅𐌴𐌹𐌷𐍃, weihs, « village ».


le 7 août, nous abordions les dérivés de *ueiḱ- dans les langues… italiques :
  • l'ombrien, vocu-cum« maison»,
  • le latin vīcus« rue ; quartier, voisinage ; bloc de maisons ; village, hameau » voire « bien, domaine, propriété foncière… »,
d'où
  • vīcātim« de rue en rue, de quartier en quartier »,
  • vīcīnus« voisin, voisinage »,
  • vīcīnitās« proximité, voisinage »,
  • vīlla, « maison de campagne, exploitation agricole, ferme… »,
  • vīlicus, « fermier, gestionnaire de la ferme »,
  • vīlica, « femme du fermier ».


Le 14 août, nous sommes partis du latin vīcus pour en examiner la descendance :
  • le français vicinal,
  • le français voisin,
  • les toponymes français vic, vicqvicquesvix,
  • l'espagnol Vigo,
  • le catalan Vic,
  • peut-être le -vic de Volvic,
  • l'italien vico« village, hameau ; district ; allée, chemin, ruelle… »,
en y mentionnant également quelques emprunts en germanique :
  • l'anglais dialectal du sud est (East Anglia et Essexwick« ferme », spécialement « ferme dédiée à l'élevage laitier »,
  • les suffixes toponymiques anglais -wick et -wich,
  • l'anglais désuet ou dialectal wike, « maison, logis »,le vieux frison wik, « village... »,
  • le vieux saxon wīk, « village, habitation... », d'où Brunswick,
  • le néerlandais wijk, « voisinage, district », utilisé notamment comme suffixe dans Graswijk ou Noordwijk...,
  • le vieux haut allemand wīh, « village », d'oùle moyen haut allemand wīch, qui, repris du moyen bas allemand wîkbelde, donnera wīchbilde, d'où l'allemand Weichbild d'emploi littéraire ou daté, « zone urbaine », auquel on préfère maintenant le très germanique Stadtgebiet,
  • le vieux norois vík, dont le sens est passé de « village » à « bras de rivière, crique, fjord ».


Le 21 août, nous nous sommes arrêtés sur l'étymologie de
  • l'anglais York, dérivé de l'anglo-saxon Eofer-wīċ.


Le 28 août, il fut question de l'étymologie de nos français
  • ville
et
  • village.



Le 4 septembre, nous avons encore épinglé quelques beaux mots français à notre liste de dérivés :
  • villette,
  • villégiature, emprunt à l'italien villeggiatura, « séjour à la campagne »,
  • villa, emprunt (calque) de l'italien villa,
  • villanelle, emprunt à l'italien villanella
  • vilain, issu du bas latin villanus, « habitant de la campagne ».




Amis lecteurs,

Aujourd'hui, nous en finirons avec les dérivés français de notre racine du moment.

Avec un nom propre, employé en toponymie
  • le français Villers

Pour tout vous dire, c'est lors d'une conversation sur l'étymologie qu'un collègue m'a fait mention de ce nom, il y a quelques semaines.

Je vous avoue que j'étais persuadé d'avoir déjà traité de ville et de ses cognats depuis belle lurette 



- vous ai-je déjà parlé de ma désastreuse mémoire ? Ah, oui, tant de fois, quand même ? Mince. Désolé -
et en vérifiant sur le site,
dans cette merveilleuse colonne de droite qui n'apparaît, par enchantement, telle Avalon
- Avalonl'île aux pommeson en parlait ici -,
qu'aux plus purs d'entre vous, à vous seuls qui visualisez la version web du blog, et non sa version mobile,

le Tor de Glastonbury serait-il à l'origine de la légende d'Avalon ?

je me rendis compte que jamais je n'en avais parlé. Point donc de ville, ni, a fortiori, de Villers.

C'était, vous l'avez compris, le point de départ de cette belle étude autour de cette formidable racine indo-européenne *ueiḱ-« l'endroit où l'on s'installe… ».



Villers est un toponyme particulièrement bien présent en Belgique francophone, où il est systématiquement prononcé - à ma connaissance, du moins - /vilɛʀs/, avec un beau /rs/final, comme dans Anvers.
Hahaha, je ris, mais imaginez que certains en viennent à prononcer Anvers /Anver/ ; ce serait d'un comique...
Alors, me direz-vous, autant prononcer Maastricht Massetrichte, avec un /chcomme dans chemin ! Heureusement - Dieu nous en préserve -, personne ne le prononcerait comme ça.

En Belgique, pour faire simple, il est plus facile de dénombrer les villes ou communes dont le nom n'est pas fait ou composé de Villers.

Car des Bois-de-Villers, des Fauvillers, des Villers-le-Gambon, des Villers-Perwin, des Villers-Poterie, des Villers-devant-Orval, ou même des Villers tout court, il y en a vraiment partout, et pour tous les goûts. Citons même le délicieusement redondant Villers-la-Ville, qui permet même aux plus lents d'entre nous d'aborder l'étymologie à leur rythme.

Ah, Villers-la Ville... De son abbaye, je garde personnellement des souvenirs qui me tiennent chaud au cœur. 

l'abbaye de Villers-la-Ville

Par ailleurs, les ruines de cette magnifique abbaye sont le cadre d'un superbe et très populaire festival de théâtre, dont les subsides sont en passe d'être supprimés par notre gentille (et si organisée) Ministre de l'Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des Femmes. Pourquoi ? Mais parce qu'au programme ne figurent que des pièces écrites par des mâles blancs, et mises en scène par des mâles blancs.

Mmmh, quoi ? Ah oui, sa couleur politique, à notre gentille Ministre ? Écolo, pourquoi ?
(à lire ici)
oui, les Écolos, c'est ça aussi



Euh, évidemment, gustativement parlant, je vous dirigerais plutôt vers Villers-devant-Orval, où les trappistes de l'abbaye d'Orval

l'abbaye d'Orval, haut lieu de spiritualité, d'apaisement, de sérénité

fabriquent l'excellent fromage d'Orval, mais aussi et surtout la bière d'Orval, qui à mes yeux et mes papilles gustatives, est tout simplement la meilleure bière du monde.

Les Liégeois eux-mêmes ne se vantent pas d'en posséder une meilleure en Principauté.
C'est vous dire.

ah oui, encore une chose : ne dites jamais une Orval.
Tout amateur éclairé parlera d'un Orval.
L'inclusivité, ce n'est pas ici que vous la trouverez.

Orval vient, selon la légende, de Val d'Or, et puisque val est masculin,
ben on dit un Orval. Même s'il s'agit d'une bière.

Je sais. Mais bon, ne cherchez pas la logique là où elle n'est pas,
surtout si votre - hips - sentencieux interlocuteur a déjà - hipsdescendu plusieurs Orval.
Un Orval, farpaitement - hips.



Ces Villers doivent à coup sûr leur nom au latin vīlla, « ferme… », mais ils sont vraisemblablement empruntés
(eh oui, je sais)
à l'adjectif latin villāris construit sur vīlla, signifiant sans trop de surprise « de ferme ; relatif à la ferme, à la maison de campagne ».

Oh oui, bon, dans certains cas, Villers peut certes procéder du gallo-roman villare, mais ce dernier dérive de toute façon du latin villāris ; on va pas chicaner, hein.

Notez encore qu'en français, Villers compte quelques variantes, comme Villiers, Viller, Villar, Vilard, Villard ou même Villars. (Il y en a encore certainement d'autres).


Et donc, OUI, vous pouvez parfaitement supposer que ces toponymes comportant un villers (ou l'une de ses variantes), ou même un ville, font référence à l'emplacement d'une lointaine villa romaine…

Mais peut-être y avait-il deux villas romaines à Villers-la-Ville ? Mwouais. On va laisser le doute subsister.


Je pense à ce propos à une charmante petite localité où j'ai vécu plusieurs années, en Gaume, non loin de la frontière avec la Meurthe-et-Moselle : Mussy-la-Ville.

Mais oui, Mussy-la-Ville n'a rien d'une ville (et c'est tant mieux).

Il devait y avoir là-bas une villa romaine, mais dont hélas (à ma connaissance) plus rien ne subsiste...

Mussy-la-Ville



Inutile de vous dire que ces toponymes sont bien souvent devenus des patronymes,

de...
  • Vilar



à

  • Vilard



Ça, c'est en français.


Mais le latin villāris,
considérant que le rouleau compresseur romain ne s'est pas arrêté aux frontières de la Gaule,
se retrouve aussi dans les langues... germaniques.


Ainsi, le latin médiéval villare« ferme », dérivé de villāris, a été repris (comprenez « emprunté »), germanisé en moyen haut allemand
- non, le moyen haut allemand n'est pas un peu plus bas que le haut allemand et un peu plus haut que le bas allemand, pleeease ; relisez par exemple “Celui qui soutient sa folie par le meurtre, est un fanatique.”, Voltaire -,
en moyen haut allemand, disais-je, sous la forme... wīler, qui deviendra l'allemand... Weiler.

Weiler, pour hameau.
Mais oui, comme les logements des sans-grades étaient construits à côté des somptueuses villas des maîtres, le sens du terme villa va englober toutes ces constructions, et le mot finira par désigner un hameau, une petite agglomération.

Weiler, au Luxembourg

à ne pas confondre avec...

Weyler, près d'Arlon, en Belgique
(Weller en luxembourgeois),
célèbre pour sa liquidation totale et ses flèches vertes lumineuses.



Enfin, au Grand-Duché de Luxembourg et dans le sud-ouest de l'Allemagne, vous pouvez encore trouver des toponymes composés des suffixes -weiler et -wil.

Ceux-ci dérivent de mots en vieux haut allemand, comme wīlāri et wīlar, que l'on fait également remonter aux latins villāris ou vīlla (eh, on ne change pas une équipe qui gagne)

Dans le cas de ces -weiler et -wil, on pense que les propriétaires germaniques qui s'installèrent sur les domaines agricoles (les villaedélaissés par les colons romains continuèrent à les appeler du nom par lequel ils les connaissaient, leur nom latin
(vīlla, pour les moins-bien comprenants),
et que l'usage de ce latin vīlla serait ainsi déjà entré dans les mœurs (et le mot se serait, par là même, germanisé) durant la période suivant immédiatement l'occupation romaine, ou alors peu après, à l'époque du vieux haut allemand (à la grosse louche, entre 750 et 1050).


la villa romaine de Borg, dans la Sarre

La commune de Sandweiler, au Grand-Duché de Luxembourg,
dont le nom, dans l'acte de fondation de l'abbaye Munster
du 6 juillet 1083 par le Comte Conrad Ier,
 apparaît sous la forme Santwilre.

À noter également que l'on a retrouvé au sud du village
les vestiges de fondations et de tuiles d'une...
villa romaine.
(source)





Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 





Frédéric

in memoriam,
Elizabeth II,
1926 - 2022







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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter…

les remarquables VOCES8,
accompagnés pour l'occasion par de brillants stagiaires de leur fondation,

nous interprètent un motet de...

Jean-Sébastien Bach.

Il ne s'agit pas d'un motet comme les autres, vous pensez bien !
Non non, ce motet, Bach le composa à Leipzig, non pas sur un texte biblique, mais bien sur un poème, de Paul Thymich.

Et puis, ce motet est écrit pour deux chœurs, ce qui en fait un exemple remarquable non pas de « simple » polyphonie classique, mais bien de polychoralité, le contrepoint étant généré ici non plus par plusieurs voix individuelles, mais bien par l'entrelacement complexe des groupes de voix de ces deux chœurs de huit voix chacun, qui jouent l'un avec l'autre.

Voici donc Komm, Jesu, komm, BWV 229.


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article suivant : An hanow a dheu dhyworth gwig Logsulyan yn Kernowle mayth yw kevys an eghen ma a wrowan

2 commentaires:

LeScrat a dit…

Merci pour ce bel article et ces splendides entrelacs choraux qui, à l'instar des langues, se mêlent les uns aux autres tout en restant eux-mêmes.
Très joli dimanche, Frédéric

Frédéric Blondieau a dit…

@LeScrat

Et merci sur ce joli rapprochement !
Excellent dimanche !