- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 18 septembre 2022

An hanow a dheu dhyworth gwig Logsulyan yn Kernowle mayth yw kevys an eghen ma a wrowan

 




« An hanow a dheu dhyworth gwig Logsulyan yn Kernowle mayth yw kevys an eghen ma a wrowan. »


Cornique pour « Le nom tient son origine du village de Luxulyan dans les Cornouailles, où l'on trouve ce type de granit. »


Vous aurez naturellement compris qu'il est question ici de luxullianite,
ce granit rose-orangé (mais quand même pulvérisé de tourmaline noire, pour le contraste),
réputé pour ne se trouver que dans un petit village des Cornouailles, Luxulyan (ou Luxullian).

PS : en réalité, on en trouve encore ailleurs dans les Cornouailles : à St Austell, dans le Dartmoor et à Land's End



de la luxullianite



Loin de moi l'idée de retourner le couteau dans la plaie de mes amis français, mais c'est en luxullianite qu'a été sculpté le spectaculaire tombeau du Duc de Wellington, dans la cathédrale Saint-Paul, à Londres.

Arthur Wellington était né le 26 août 1809 et mourut le 14 septembre 1852,
il y a donc 170 ans et à peine quelques jours


le tombeau de Wellington,
St Paul's Cathedral.






Chers lecteurs, bonjour.

Nous poursuivons l'étude des dérivés de notre fascinante racine indo-européenne...


(le village de Gweek, dans les Cornouailles)


... *ueiḱ-« l'endroit où l'on s'installe… ».




Nous avons découvert cette racine le 24 juillet, avec
  • le tokharien B īke, pour « lieu, endroit ; position ». 

Nous en avions même repris quelques attestations, comme :
  • snaice tallānt ikemem, « depuis un lieu pauvre, misérable »,
  • sañ mäskelye yakene, « à l'endroit qui lui était assigné »,
  • sle-tassäntse ikene« en lieu et place du commandant de la montagne », 
ou encore
  • tumem c[ai] brāhmani tot ike-postäm̥ ynemane Aran̥emiñ lānte yapoyne kamem̥, « alors, ces brahmanes, se déplaçant de lieu en lieu (ike-postäm̥), arrivèrent au royaume du Roi Aranemin ».


Le 31 juillet, nous avons débusqué,

dans les langues germaniques, cette fois,

le gotique 𐍅𐌴𐌹𐌷𐍃, weihs, « village ».


le 7 août, nous abordions les dérivés de *ueiḱ- dans les langues… italiques :
  • l'ombrien, vocu-cum« maison»,
  • le latin vīcus« rue ; quartier, voisinage ; bloc de maisons ; village, hameau » voire « bien, domaine, propriété foncière… »,
d'où
  • vīcātim« de rue en rue, de quartier en quartier »,
  • vīcīnus« voisin, voisinage »,
  • vīcīnitās« proximité, voisinage »,
  • vīlla, « maison de campagne, exploitation agricole, ferme… »,
  • vīlicus, « fermier, gestionnaire de la ferme »,
  • vīlica, « femme du fermier ».


Le 14 août, nous sommes partis du latin vīcus pour en examiner la descendance :
  • le français vicinal,
  • le français voisin,
  • les toponymes français vic, vicqvicquesvix,
  • l'espagnol Vigo,
  • le catalan Vic,
  • peut-être le -vic de Volvic,
  • l'italien vico« village, hameau ; district ; allée, chemin, ruelle… »,
en y mentionnant également quelques emprunts en germanique :
  • l'anglais dialectal du sud est (East Anglia et Essexwick« ferme », spécialement « ferme dédiée à l'élevage laitier »,
  • les suffixes toponymiques anglais -wick et -wich,
  • l'anglais désuet ou dialectal wike, « maison, logis »,le vieux frison wik, « village... »,
  • le vieux saxon wīk, « village, habitation... », d'où Brunswick,
  • le néerlandais wijk, « voisinage, district », utilisé notamment comme suffixe dans Graswijk ou Noordwijk...,
  • le vieux haut allemand wīh, « village », d'où le moyen haut allemand wīch, qui, repris du moyen bas allemand wîkbelde, donnera wīchbilde, d'où l'allemand Weichbild d'emploi littéraire ou daté, « zone urbaine », auquel on préfère maintenant le très germanique Stadtgebiet,
  • le vieux norois vík, dont le sens est passé de « village » à « bras de rivière, crique, fjord ».


Le 21 août, nous nous sommes arrêtés sur l'étymologie de
  • l'anglais York, dérivé de l'anglo-saxon Eofer-wīċ.


Le 28 août, il fut question de l'étymologie de nos français
  • ville
et
  • village.


Le 4 septembre, nous avons encore épinglé quelques beaux mots français à notre liste de dérivés :
  • villette,
  • villégiature, emprunt à l'italien villeggiatura, « séjour à la campagne »,
  • villa, emprunt (calque) de l'italien villa,
  • villanelle, emprunt à l'italien villanella
  • vilain, issu du bas latin villanus, « habitant de la campagne ».


Le 11 septembre, nous nous sommes arrêtés sur...
  • le nom propre français Villers, emprunt au latin vīlla, « ferme… », via l'adjectif latin villāris, « de ferme ; relatif à la ferme, à la maison de campagne »,
ainsi que sur...
  • son équivalent germanique, l'allemand Weiler« hameau », que l'on retrouve également en suffixe, sous les formes  -weiler et -wil.


°°°°°°°°°°°°


Amis lecteurs, le 14 août dernier, je vous avais annoncé, dans l'article de ce dimanche-là,
Un village est essentiellement composé d’un certain nombre de familles...,
que nous aborderions bientôt les dérivés du latin vīcus« rue ; quartier, voisinage ; bloc de maisons ; village, hameau » voire « bien, domaine, propriété foncière… » dans les langues... celtiques.

Non, je n'ai rien oublié.


Même si
- je vous le concède -
vous êtes plus qu'en droit de le supposer, considérant la faiblesse structurelle de ma mémoire.




En ce dimanche, passons donc en revue les dérivés celtiques de notre belle indo-européenne *ueiḱ-« l'endroit où l'on s'installe… ».


Les emprunts celtiques
- car il s'agit bien d'emprunts -
que nous allons découvrir ici peuvent parfaitement être comparés à ces mots germaniques de la famille des wickwijk, vík...
Mais oui, car les dérivés celtiques de notre *ueiḱ- sont, à l'instar de ces wick et consorts, de très anciens emprunts au latin vīcus, qui, visiblement, en a marqué plus d'un.


Or donc, le latin vīcus est à l'origine de mots dans les langues celtiques insulaires.

(Pour rappel, les langues celtiques insulaires sont formées de deux sous-groupes,
  • les langues gaéliques : l'irlandais, le manxois, l'écossais,
et
  • les langues brittoniques : le breton, le cambrien, le cornique, le gallois).

elles sont presque toutes là
(source)

Dans les langues gaéliques, citons...
  • le vieil irlandais fich, qui, non content de copier vīcus, pousse le vice jusqu'à reprendre plusieurs de ses acceptions, comme « village (de campagne) » et « ferme », mais aussi « district rural ». 
Où il y a de la gêne...

Le philologue allemand Hermann Wilhelm Ebel, 10 mai 1820 – 19 août 1875, dont un ouvrage sur les langues celtiques fut traduit en anglais par le sieur William K. Sullivan en 1863 (Celtic Studies from the German of Dr. Hermann Ebel) nous précise très judicieusement et particulièrement à propos que cette acception de village correspond au latin municipium, et celle de district rural au latin pagus.


Le vieil irlandais fich 
finira par devenir un mot passe-partout désignant toute étendue de terre, ce qui, vous en conviendrez, atteste de sa popularité.

étendue de terre irlandaise




Et dans les langues brittoniques, mmmh ?


Eh bien, nous retrouvons des emprunts au latin vīcus...
  • en breton, avec le féminin gwig, « village (de campagne) » (parfois retranscrit Gwik ou Gui),
L'enclos paroissial de Guimiliau (-miliau de Saint Miliau),
destiné aux brebis égarées.

Photo exceptionnelle de Guichen l'été dernier, sous le soleil !
(Guic-hen, hen signifiant vieux)


  • en gallois, où gwig désigne toujours un village, mais aussi une rue - oui oui, tout comme vīcus le faisait -, ou même un bois.
ou encore
  • en cornique, le cornique gwig (toujours féminin) pouvant se traduire par « village » ou par ce joli « village de la forêt ».
Le cornique en a même fait un nom propre ; je fais allusion à Gwig, charmant petit village du sud des Cornouailles, dont le nom est anglicisé en Gweek.

le port de Gweek

et son Seal Sanctuary, un refuge et hôpital pour les phoques


Et donc, oui, Gweek est aux Cornouailles ce qu'est Portmeirion au Pays de Galles :

Le Village. 

(Si vous ne saisissez pas l'allusion, je ne peux vraiment rien faire pour vous, sinon vous conseiller de ne plus regarder de séries de piètre qualité pour enfin découvrir Le Prisonnier, l'une des plus belles séries télévisuelles jamais réalisées... L'une des plus intelligentes, aussi. 

Même si, j'en conviens, ce n'est pas le dernier épisode du Prisonnier qui vous apprendra si le beau et riche Brandon va enfin craquer pour Belinda (ou Kalinda, ou Skyler, ou Amara).


Le Prisonnier (Patrick McGoohan, alias Numéro six),
et en toile de fond, Le Village (en réalité, Portmeirion


Belinda (ou Kalinda, ou Skyler, ou Amara)
attendant Brandon dans son fauteuil




Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 






******************************************
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

******************************************

Et pour nous quitter…

un chant gaélique !

Une chanson traditionnelle gaélique
qui vous apprendra à vous méfier de ces phoques si adorables...

Voici 

The Great (ou Grey) Selkie of Sule Skerr,

une épouvantable ballade racontant l'histoire d'une jeune femme qui tombe amoureuse de ce qu'elle croyait être un homme, et qui s'avère être un selkie, the great selkie of Sule Skerry, créature thérianthrope
(du grec ancien θηρίον, thêrίon, « bête » et ἄνθρωπος, ánthrôpos, « homme » : qui peut se transformer d’homme en animal.),

qui lui donnera un fils.

Ce Selkie, une fois dans la mer, reprend son apparence de phoque, et lui enlève son fils.

La tragédie, hélas, ne s'arrête pas là : bien plus tard, alors qu'elle s'est mariée, son humain de mari harponnera deux phoques, l'un vieux et gris, l'autre, plus jeune.

Fatalité ! Il s'agit du selkie et de son fils...

(ah ça, quand on est un selkie, 'faut pas aller batifoler du côté des Féroé, hein, Monsieur X !)


******************************************

Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, hein ? Vous pouvez par exemple…
  • vous abonner par mail, en cliquant ici, en tapant votre adresse email et en cliquant sur “souscrire”. ET EN CONFIRMANT le lien qui vous arrivera par email dans les 5 secs, et vraisemblablement parmi vos SPAMS (“indésirables”), ou bien…

******************************************

article suivant : Plus de 20 villes et villages ont été repris en 24 heures, selon Kiev. - L'Echo, 12 septembre 2022

2 commentaires:

Jean Lhuillery a dit…

En rapport avec l'article de dimanche dernier m'est revenu un bel exemple du charme de l'étymologie populaire : il existe dans les Vosges un lieu de mémoire appelé "le Vieil Armand". C'est une colline où les poilus de la guerre de 14 avaient établi un campement. Le guide m'avait expliqué doctement que le nom du lieu évoquait le Pdt Fallières, Armand de son prénom, qui n'était plus tout jeune. Soit. Mais il n'a pas précisé que le nom local est "Hartmanswiller Kopf", car cette colline est située près du village de Hartmanswiller. Il est évident que c'est de là que vient le surnom français ! C'est d'ailleurs ce qui figure maintenant sur la page wiki de ce site.
Jean Lhuillery

Frédéric Blondieau a dit…

Bonjour Jean,

Oui, magnifique exemple !

Dans la même veine, une linguiste américaine a mentionné sur FB, alors qu'elle était en séjour à Bath, qu'un guide de là-bas expliquait que "spa" provenait de l'acronyme latin pour "Salus per Aquam", pure abberation, évidemment.
Je pense aussi à ce magnifique lieu qu'est le "Sauvage", dans le Gévaudan, dont le nom fait penser aux conditions climatiques épouvantables de cet endroit reculé en hiver, alors qu'il s'agit à l'origine d'un refuge, "le sauveur"...

Merci et bonne journée !
Frédéric