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dimanche 4 septembre 2022

Je me ſouviens d'avoir oui raconter qu'étant un jour obligée d'aller parler à Mr. Fouquet...

  




Je me ſouviens d'avoir oui raconter qu'étant un jour obligée d'aller parler à Mr. Fouquet elle affecta d'y aller dans une ſi grande négligence que ſes amis étaient honteux de l'y mener.
Tout le monde ſçait ce qu'était
alors Mr. Fouquet , ſon faible pour les femmes & combien les plus hautes hupées & les mieux chauſſées cherchaient à lui plaire.


Extrait des Souvenirs de Madame de Caylus (édition de 1770),
que Voltaire lui-même publiera, en précisant que « tout ce que raconte madame la marquise de Caylus est vrai ».


Note du transcripteur : je doute de l'emploi du s long (ſ) dans le mot chauſſées.
Il pourrait parfaitement s'agir, non pas de chaussées, mais bien littéralement de chauffées, si à l'époque les prix de l'énergie étaient tels que maintenant, et où seules les dames de la plus haute société étaient bien chauffées.


Marguerite de Valois,
comtesse de Caylus,
1671 - 1729,
mariée à 13 ans, que Madame de Maintenon enleva et
considérait comme sa propre fille
(oui, parfois, la réalité dépasse la fiction d'Alexandre Dumas)



ah ça, les coûts de l'énergie...


L'arrivée de la note d'électricité.
Huile sur toile.





Chers lecteurs, bonjour.

Oui, nous nous concentrons toujours sur les dérivés de la formidable petite racine indo-européenne...


*ueiḱ-« l'endroit où l'on s'installe… ».




Nous avons découvert cette racine le 24 juillet, avec
  • le tokharien B īke, pour « lieu, endroit ; position ». 

Nous en avions même repris quelques attestations, comme :
  • snaice tallānt ikemem, « depuis un lieu pauvre, misérable »,
  • sañ mäskelye yakene, « à l'endroit qui lui était assigné »,
  • sle-tassäntse ikene« en lieu et place du commandant de la montagne », 
ou encore
  • tumem c[ai] brāhmani tot ike-postäm̥ ynemane Aran̥emiñ lānte yapoyne kamem̥, « alors, ces brahmanes, se déplaçant de lieu en lieu (ike-postäm̥), arrivèrent au royaume du Roi Aranemin ».


Le 31 juillet, nous avons débusqué,

dans les langues germaniques, cette fois,

le gotique 𐍅𐌴𐌹𐌷𐍃, weihs, « village ».


le 7 août, nous abordions les dérivés de *ueiḱ- dans les langues… italiques :
  • l'ombrien, vocu-cum« maison»,
  • le latin vīcus« rue ; quartier, voisinage ; bloc de maisons ; village, hameau » voire « bien, domaine, propriété foncière… »,
d'où
  • vīcātim« de rue en rue, de quartier en quartier »,
  • vīcīnus« voisin, voisinage »,
  • vīcīnitās« proximité, voisinage »,
  • vīlla, « maison de campagne, exploitation agricole, ferme… »,
  • vīlicus, « fermier, gestionnaire de la ferme »,
  • vīlica, « femme du fermier ».


Le 14 août, nous sommes partis du latin vīcus pour en examiner la descendance :
  • le français vicinal,
  • le français voisin,
  • les toponymes français vic, vicqvicquesvix,
  • l'espagnol Vigo,
  • le catalan Vic,
  • peut-être le -vic de Volvic,
  • l'italien vico« village, hameau ; district ; allée, chemin, ruelle… »,
en y mentionnant également quelques emprunts en germanique :
  • l'anglais dialectal du sud est (East Anglia et Essexwick« ferme », spécialement « ferme dédiée à l'élevage laitier »,
  • les suffixes toponymiques anglais -wick et -wich,
  • l'anglais désuet ou dialectal wike, « maison, logis »,le vieux frison wik, « village... »,
  • le vieux saxon wīk, « village, habitation... », d'où Brunswick,
  • le néerlandais wijk, « voisinage, district », utilisé notamment comme suffixe dans Graswijk ou Noordwijk...,
  • le vieux haut allemand wīh, « village », d'oùle moyen haut allemand wīch, qui, repris du moyen bas allemand wîkbelde, donnera wīchbilde, d'où l'allemand Weichbild d'emploi littéraire ou daté, « zone urbaine », auquel on préfère maintenant le très germanique Stadtgebiet,
  • le vieux norois vík, dont le sens est passé de « village » à « bras de rivière, crique, fjord ».


Le 21 août, nous nous sommes arrêtés sur l'étymologie de
  • l'anglais York, dérivé de l'anglo-saxon Eofer-wīċ.


Le 28 août, il fut question de l'étymologie de nos français
  • ville
et
  • village.





Amis lecteurs,


Ajoutons donc quelques mots à la liste des dérivés français de notre gentille racine...

En commençant par ce charmant diminutif de ville
  • villette.
Ses acceptions successives nous racontent l’évolution sémantique du mot ville, puisque villette a d’abord désigné une « petite maison des champs », vers 1100, pour, près d’un siècle plus tard, nommer une « très petite ville ». 

Villette a hélas quitté l’usage courant depuis bien longtemps, mais continue à vivre dans des noms géographiques, comme La Villette, quartier de Paris, ou même la rue et le parc de la Villette, à Charleroi.

Le parc de la Villette, à Charleroi
(mais ça, c'était avant)
(source)

Ah oui, j'allais oublier ! Le nom complet de Madame de Caylus était Marthe-Marguerite Le Valois de Villette de Mursay, marquise de Caylus, ce qui pourrait expliquer la présence d'un extrait de ses mémoires en exergue.



L'auriez-vous soupçonné ? Nous devons le mot suivant à... Montesquieu !

Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu,
né le 18 janvier 1689 à La Brède et mort le 10 février 1755 à Paris


Nous en aurions encore bien besoin, d'un homme tel que Montesquieu, pour qui, sans la séparation des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), la démocratie ne peut être garantie.

Montesquieu a emprunté
- je sais, je sais, mais si c'est Montesquieu qui l'a fait, je n'émets aucune objection -
ce mot à l'italien. 


En italien, villa désignant la maison de campagne, « aller à la campagne » se dit villegiare.

Et sur ce villeggiare, l'italien a construit villeggiatura, « séjour à la campagne ».

Oui, vous l'avez à présent forcément trouvé, Montesquieu nous a donné...
  • le français villégiature, qui d'ailleurs peut désigner tant le séjour à la campagne que le lieu de ce séjour, ou que sa durée.

En villégiature,
Évariste Carpentier (1845-1922)



Quant à notre français...
  • villa, il n'est, lui aussi, qu'une pâle copie (entendez un emprunt) de l'italien.
Mais oui, nous l'avons emprunté relativement récemment (le mot français est attesté en 1743) à l'italien villa, « ferme, maison de campagne », lui-même calque du latin...
(vous le trouvez, ce mot latin ? Oui, je sais, ce n'est pas simple)...
du latin... villa, de même sens.

une somptueuse villa italienne




De l'italien, le français a encore emprunté,
mais bien plus tôt,
un mot qui désignait une chanson, ou une danse villageoise...

Et ici, c'est carrément Montaigne qui l'a emprunté pour nous, en 1580. On va le lui pardonner.

Michel Eyquem de Montaigne, seigneur de Montaigne
28 février 1533 - 13 septembre 1592

Auriez-vous une petite idée de ce mot ?
Je vous l'accorde, il ne figure pas dans le vocabulaire courant, mais il existe toujours en histoire littéraire.

Ce mot, c'est...
  • villanelle, emprunt à l'italien villanella, qui s'emploie toujours pour désigner un type bien particulier de poème (une chanson pastorale populaire) composé d'un nombre impair de tercets et terminé par un quatrain.

Vous en voulez une, de villanelle ?

Eh bien, voici La Tourterelle envolée, de ce bon Jean Passerat, né à Troyes le 18 octobre 1534 et mort à Paris le 14 septembre 1602 :

J’ai perdu ma tourterelle ;
Est-ce point elle que j’oy ?
Je veux aller après elle. 
Tu regrettes ta femelle ;
Hélas! aussi fais-je, moi,
J’ai perdu ma tourterelle. 
Si ton amour est fidèle,
Aussi est ferme ma foi :
Je veux aller après elle. 
Mort que tant de fois j’appelle,
Prends ce qui se donne à toi !
J’a perdu ma tourterelle,
Je veux aller après elle.

 

Jean Passerat, poète et surtout humaniste



Si l'italien villanella désignait si bien une chanson ou danse villageoise, c'est qu'il dérivait de l'italien villano, pour... « paysan », issu lui-même du bas latin villanus, évidemment dérivé du latin classique villa, « ferme ».

Oui, c'est de ce même bas latin villanus, « habitant de la campagne », qu'est issu notre 
  • français vilain, attesté en 1090. 
Notez qu'au XVIIème, l'on distinguait le nom de l'adjectif, l'adjectif ne prenant qu'un seul l.

Le vilain, à l'origine, est plus qu'un paysan : c'est un paysan libre, par opposition au serf.
Mais... le terme s'oppose aussi à noble.

Cette idée de mépris 


associée à la condition sociale du...
- donnez-moi quelques secondes -

... paysan 


expliquera l'évolution sémantique du mot, qui souffrira en outre de sa troublante ressemblance avec l'adjectif vil sans aucun rapport car issu lui du latin vilis, « bon marché », d'où « de peu de valeur ».

un vilain




Eh bien, chers lecteurs, 

Nous en resterons là pour ce dimanche.

En ce qui me concerne, dimanche heureux, car il s'inscrit toujours dans mes vacances, dimanche funeste car il annonce, dès demain, le retour au travail.

Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 





Frédéric, encore en vacances, pour quelques heures








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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter…


Villanelle,


chanson composée par la cantatrice et compositrice belge

Eva Dell'Aqua,
28 janvier 1856 – 12 février 1930,

et interprétée ici, rien que pour nous, par la superbe colorature

Diana Damrau

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article suivant : La culture, ce n'est pas ce qui reste quand on a tout oublié, mais au contraire, ce qui reste à connaître quand on ne vous a rien enseigné.

2 commentaires:

LeScrat a dit…

Bonjour Frédéric,
En résumé : de la villa romaine à la vilaine Laura 😉
Heureuse semaine de reprise !

Frédéric Blondieau a dit…

Hahaha, c'est exactement cela ! :-D

Merci LeScrat !
Frédéric