- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 6 juin 2021

Sachez vous éloigner car, lorsque vous reviendrez à votre travail, votre jugement sera plus sûr.





Sachez vous éloigner car,
lorsque vous reviendrez à votre travail,
votre jugement sera plus sûr. 

Léonard de Vinci.


Eh oui, même le télétravail, il l'avait imaginé.





Bonjour à toutes et tous.

 

Aujourd'hui, il sera encore question des dérivés de la charmante racine indo-européenne...




*ueik-, “vaincre, triompher de”.




Le point :

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Nous avons passé en revue, le 25 avril, une série de dérivés germaniques de notre *ueik-, “vaincre, triompher de”, dont notamment 
  • le gotique 𐍅𐌴𐌹𐌷𐌰𐌽, weihanse battre”,
  • le vieil anglais wīganse battre, faire la guettre, batailler”, d'où...
  • les vieux anglais... oferwīgan, “l'emporter au combat, conquérir”, 
  • wīgend, “soldat, guerrier”, et 
  • wigian, “se battre”,
  • le vieil anglais wīġ, “guerre, bataille” et son composé ānwīġ
  • duel
  • le vieil anglais poétique wiga“guerrier, combattant”, “héro, homme”, 
  • le vieux francique *wīg, combatsecond terme du prénom *Mārīwīg, fameux (*mārīau combat(*wīg)”, latinisé pour devenir... Meroveus, d'où Mérovingiens,
  • le vieux norois vegase battre”, dont seront issus...
    • le danois archaïque vejeoccire, tuer au combat”, l'islandais vega...,
  • le vieux norois... vígcombat, bataille, homicide, meurtre” dont descend probablement le prénom Viggo, Wiggo,
Oft ic wig seo, frecne feohtan, 25 avril 2021.
 
Le 2 mai, il était question des dérivés celtiques de *ueik-,
ou pour être précis, de sa forme de base et au degré zéro *uik- (ou *wyk-),


au nombre desquels nous pourrions citer :

  • le vieil irlandais fichid,
     se battre, combattre”,
  • le moyen gallois amwyn, “entourer, défendre”,
  • le gaulois 
    Adcovicus, qui est fortement avec les vainqueurs”,
  • le gaulois Blandovicu, qui combat avec douceur”,
  • le gaulois Exalbiovix, qui combat en dehors du monde céleste”, 
  • l'ethnonyme gaulois Lemovices(ceux qui) combattent / vainquent avec l'orme”,
  • le celte Aquincum, qui a eu la victoire rapide”...


Le 9 mai, nous abordions les dérivés italiques et romans de *ueik- (ou *wyk-), passés en proto-italique par l'étymon *wink-(e/o-)lier, plier” puis l'emporter sur :
  • le latin vincō, vincere, “vaincre...”,
  • l'osque uincter“prouver la culpabilité de quelqu'un (emprunt probable au latin),
  • le pélignien uicturei“vainqueur” (emprunt au latin),
  • l'osque vikturrai, “victoire” (emprunt au latin),
et puis, issus du latin, citons, dans les langues romanes...
  • le français vaincre,
  • le catalan vèncer,
  • l'espagnol vencer,
  • l'italien vincere,
  • (Gérard) le normand veincre,
  • le picard vinke,
  • le portugais vencer,
  • ...
Jules César, On l'appellait Jules César, Il mettait pas d'falzar - Le Grand Jojo, 9 mai 2021.


Le 16 mai, nous étions en plein dans les dérivés latins de *ueik-, avec le latin 
vincō, vincere, 
“vaincre...” et ses propres dérivés, 
  • le français vaincre
  • l'anglais vanquish“vaincre...”,
  • le latin victor, conquérantvainqueur ; victorieux, triomphant...”,
  • le latin victōria“victoire”, et ses dérivés comme le français victoire et l'anglais victory,

Buona pulcella fut Eulalia ; Bel avret corps, bellezour anima., 16 mai 2021.


Le 23 mai, nous poursuivions notre étude des dérivés latins de la belle *ueik-“vaincre, triompher de”, ainsi que des mots - notamment - français qui en provenaient :
  • vincibilis, “qui peut être vaincu ; qu'on peut vaincre ; (d'un procès) facile à gagner”
    • d'où notre français vincible,
  • invincibis,
    • d'où invincible,
  • convincō, “prouver la culpabilité de...”,
    • d'où l'acception française d'amener quelqu'un à reconnaître sa culpabilité,
  • convictio,
    • d'où notre conviction, action de prouver la culpabilité de quelqu'un, et de preuve de culpabilité”,
  • convictus“dont la culpabilité à été prouvée...”,
    • d'où le moyen français convicter, au sens (juridique) de convaincre,
      • d'où l'anglais convict déclarer coupable”, “prisonnierdétenu”,
  • pervincō, pervincere, “venir à bout de”, “vaincre complètement”, “finir par persuader quelqu'un de”, “amener (quelqu'un) à croire, à vouloir, à faire...”,
    • d'où le roumain obsolète previnge“triompher sur, conquérir, vaincre...”,
  • le latin pervicāx, “déterminé, tenace“entété, tétu, obstiné, archarné...”n
    • d'où des emprunts 
      • en portugais : pervicaz,
      • en italien : pervicace,
      • en anglais (rare) : pervicacious.
  • le latin evincere, “triompher de”“déposséder juridiquement”,
    • d'où notre emprunt savant évincer,
  • le latin evictio“recouvrement d'une chose par jugement”,
    • d'où notre éviction,
  • les latins victus, vaincu”, et invictus, invaincu”.


Le  30 mai, nous découvrions
  • le verbe latin vinciō, “lier, attacher, courber, plier...”, probablement issu également de notre ueik-“vaincre, triompher de”. 
Nous avons emprunté son dérivé vinculum.

Et en descendent encore probablement...
  • le français pervenche,
  • l'italien et le catalan pervinca.

En revanche, n'en descendent PAS...
  • ni province
  • ni victime.
🜛🜛🜛


L'article de ce jour sera une nouvelle fois du goût de ceux qui adorent les articles très courts.

Une amie à moi, que je remercie chaleureusement, sur laquelle je peux compter pour, notamment, la relecture des articles du blog, mais qui me propose aussi parfois des pistes à creuser, et dont l'une des langues est l'italien, me précise que...

le latin vinciō, vincīre, “lier, attacher, courber, plier...”, est toujours bien présent en italien
- par le biais de certains de ses dérivés qui lui furent empruntés -,
avec, par exemple,
  • l'expression vincoli di parentela, les “liens de parenté”,
mais aussi avec 
  • svincolo, pouvant désigner cet acte notarié qu'est la mainlevée, mais aussi le déliement, ou même, carrément, l'échangeur d'autoroute, la bretelle, reprenant bien le sens de l'étymon latin : courber pour (re)lier.
bretelles et échangeurs : des courbes qui relient...

Et puis, il y a aussi l'italien vinco, dérivant d'une forme précédente vinchio, créée, elle, sur le latin... vinculum, qui désigne certaines variétés de saules utilisés pour la vannerie et l'attachage de la vigne, et, par métonymie, les rameaux flexibles de ces arbustes.

Vincastro, dérivé de vinco, est devenu, de rameau de saulela houlette du berger,


et par extension, 

la... crosse pastorale (voire épiscopale).  

(illustration trouvée sur - et je ne mens pas -
https://www.vaticanum.com)


Mon amie continue : 

La présence de saules le long de leur parcours a donné leur nom aux ruisseaux Vincio di Montagnana et Vincio di Brandeglio (dans la province de Pistoia), ainsi qu'à la commune de Vinci, à vingt-cinq kilomètres à l'ouest de Florence à vol d'oiseau.

Et là, ébahissement : oui, il s'agit bien de la commune de naissance de... Leonardo...


Non, et je vous remercierai de ne pas m'interrompre ; je reprends - ça vous apprendra, 

il s'agit bien de la commune de naissance de... Leonardo... da Vinci.


Ce qui, finalement, tombait assez bien, reconnaissons-le.

Et c'est même mieux que ça : c'est parce que sa commune natale était à vingt-cinq kilomètres à l'ouest de Florence à vol d'oiseau que Léonard, qui adorait se rendre à Florence, imagina une machine à voler sur le modèle des oiseaux.



Voilà pour les dérivés latins de notre racine indo-européenne *ueik-, “vaincre, triompher de”.


Allez, poursuivons !


J'ai passé de nombreuses heures à rechercher en grec ancien, et rien que pour vous, des dérivés de notre belle racine.

Hélas, trois fois hélas, même si le grand linguiste et philologue classique allemand Wilhelm Schulze

Wilhelm Schulze,
1863 - 1935

avait cru pouvoir rapprocher, il y a bien longtemps, le grec ancien εἴκω, eíkō“céder, se rendre”, du latin 
vincō, vincere, 
“vaincre...”, l'on n'y croit plus guère. 

Mais à sa décharge, il n'était vraiment pas tombé très loin...

En effet, Robert Beekes (Etymological Dictionary of Greek) rapproche le grec εἴκω d'une racine indo-européenne qui, formellement, lui ressemble très fort, *ṷeig-, au sens de “céder, se rendre”.


Oui mais... et quid de ἔοικα, éoika, alors ?
Ce verbe, que l'on peut traduire par ressembler”, provient, formellement (selon les lois de la phonétique historique), d'une racine indo-européenne... *ueik-. 

Mais voilà, le (très) grand Pierre Chantraine...

Pierre Chantraine,
15 septembre 1899 – 30 juin 1974

... lui-même le disait à propos d'ἔοικα, éoika - et dieu sait s'il voyait clair -,
(...) il n'y a aucun rapprochement vraiment plausible dans d'autres langues indo-européennes. 

Beekes, qui n'était pas fou, le suivra, avec sa remarque, que je vous traduis ici :

Il n'y a aucun cognat certain (à ἔοικα, on suit) en-dehors du grec ancien. 

Entendez donc que même si certains mots grecs anciens descendent d'une racine indo-européenne que l'on reconstruirait sous la forme *ueik-, il ne s'agit nullement de notre *ueik-.

Donc, pour ce qui est du grec ancien, ben... moi qui suis pourtant certainement plus proche de la folie que d'autres, je m'en tiendrai aux études de ces spécialistes, pour vous dire que - jusqu'à nouvel ordre - on n'y retrouve rien que l'on puisse rapprocher de notre *ueik-, “vaincre, triompher de”.

C'est comme ça ; c'est la vie ; 'faut faire avec.




Mais bon, pour me faire pardonner, et en guise de viatique, je vous livre un mot grec ancien de cette même famille qui s'est retrouvé en ... russe ! 

Mais oui, le grec classique εἰκών, eikôn, image” fut emprunté en grec byzantin, avec εἰκόνια, eikonia (prononcé avec i initial). 

C'est précisément au grec byzantin εἰκόνια, eikonia, que fut emprunté le russe икона, ikonaimage (religieuse)”.



Le français icône (ou icone), dans cette acception, est un emprunt au russe que l'on date de 1838.


Quant à notre autre,
et nettement plus récent,
icone, désignant lui, en informatique, un petit pictogramme représentant une action, un objet, un logiciel, un type de fichier... dans les interfaces utilisateur graphiques, nous l'avons repris de l'anglais didactique icon.

C'est au grand sémiologue et philosophe américain Charles Sanders Peirce que nous devons cet anglais icon, au sens de...
Signe qui renvoie à ce qu'il dénote (l'objet) en vertu de ses caractères propres et qui a donc avec l'objet des caractères (abstraits, relationnels) communs.
Oh, merci, ©Le Grand Robert de la langue française.
 




Nous avions déjà parlé d'icône, dans son composé iconostase, en janvier 2017 :
- Et la Stasi, alors ? - Non, RIEN à voir.

Si vous êtes en manque de grec ancien, plongez-y, cet article en regorge ! 


Quant à Peirce, nous l'avions déjà cité en 2020, ici :

“L’enseignant est celui qui suscite deux idées là où auparavant il n’y en avait qu’une seule.” - Elbert Hubbard


Mais donc
- je préfère le répéter -
entendons-nous bien : il n'y a, à ma connaissance, AUCUN mot en grec ancien qui soit dérivé de notre malicieuse *ueik-, “vaincre, triompher de”


C'est triste, mais maintenant, au moins, vous pouvez rapprocher Léonard de Vinci de Ludwig van Beethoven.

Et dans le doute, on relit Oft ic wig seo, frecne feohtan.



Protégez-vous, prenez soin de vous et de vos proches, 
Portez-vous bien.




Frédéric


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ne vous laissez pas abuser par son nom :
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CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,

un peu de gaieté.

(Je suppose que j'y suis arrivé par l'expression icone gay ? Allez savoir.)


Voici un petit bonbon à croquer,

la reprise par Tracy Ullman, en 1983, de

They don't know.


Avec en prime le caméo d'un p'tit gars de Liverpool bien sympathique 

https://youtu.be/f9un119lq4c

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