- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 7 mars 2021

Mstislav et Sviatoslav sont en bateau, sur le Dniepr, et jouent du Beethoven...

                    



I believe you can divide musical performance into two categories: those who seek to exploit the instrument they use and those who do not.

In the first category, if we believe history, is a place for such legendary characters as Liszt and Paganini as well as many allegedly demanding virtuosi of more recent vintages. That category belongs essentially to musicians determined to make us aware of their relationship with their instrument. They allow that relationship to become the focus of attention.

The second category includes musicians who try to bypass the whole question of the performing mechanism, to create the illusion of a direct link between themselves and a particular musical score. And, therefore, help the listener to achieve a sense of involvement, not with the performance per se but rather with the music itself. 

And in our time, there's no better example of that second musician than Sviatoslav Richter.
What Richter does is insert between the listener and the composer his own enormously powerful personality as a kind of conduit. And we gain the impression that we're discovering the work anew and, often, from a quite different perspective than we're accustomed to.


(Je pense que vous pouvez scinder les exécutions d'œuvres musicales en deux catégories : celles qui cherchent à exploiter l'instrument utilisé, et celles qui ne le font pas.

À la première catégorie appartiennent historiquement des légendes comme Liszt et Paganini, mais aussi, plus près de nous, de nombreux virtuoses considérés comme exigeants.
Cette catégorie est constituée essentiellement de musiciens déterminés à nous faire prendre conscience de la relation qui existe entre eux et leur instrument ; c'est pour eux une façon de mettre en évidence cette relation.

À la deuxième appartiennent les musiciens qui tentent de contourner toute la question du mécanisme de l'exécution d'une œuvre musicale, pour créer l'illusion d'un lien direct entre eux et la partition. Et, par là, permettre de donner à l'auditeur l'impression, non pas de participer à l'exécution de l'œuvre mais bien à l'œuvre elle-même.

Et à notre époque, il n'y a pas de meilleur représentant de cette catégorie que Sviatoslav Richter.

Ce que fait Richter, c'est insérer, entre l'auditeur et le compositeur, sa propre personnalité, extrêmement forte, pour qu'elle devienne, en quelque sorte, un canal de communication. 
Alors, avec lui, nous avons l'impression de redécouvrir l'œuvre jouée, et souvent, dans une perspective totalement différente de celle à laquelle nous étions habitués.)


Glenn Gould à propos de Sviatoslav Richter,

dans The Enigma, film biographique sur Richter réalisé par Bruno Monsaingeon.


Sviatoslav Richter,
(Святослав Теофілович Ріхтер),
 Jytomyr (Ukraine) le 20 mars 1915 - Moscou le 1er août 1997




Les amoureux de Glenn Gould auront compris qu'ici, en termes admiratifs pour Richter, il parle en réalité de lui, et de sa propre conception de l'interprète.

Je parie d'ailleurs que les amis de Glenn l'avaient reconnu, avant même de lire le nom de l'auteur de ces propos, tirés d'un film d'un de ses rares amis intimes, Bruno Monsaingeon.
 
Glen Gould, pianiste virtuose, ne se considérait pas comme un instrumentiste, un pianiste,
mais bien comme un musicien.

Et si vous me posez la question, oui, pour moi, il l'était.




Bonjour à toutes et tous !


En ce dimanche 7 mars 2021 (le 22 février selon le calendrier de la Sainte Russie), nous parcourons toujours, sous les yeux aussi bleus qu'amoureux de Lara,

Julie Christie dans Doctor Zhivago, David Lean, 1965
- aaaaaah -

la chapka sur les oreilles, les bottes dans la neige,

les dérivés balto-slaves de notre racine indo-européenne...

*ḱleu-entendre”.

toujours un chien (ou peut-être une chienne),
un casque sur les oreilles, pour ne pas changer...

... mais devant cette autre illustration, je n'ai pas pu résister...

D'accord, mentionner entendre à l'oreille de Van Gogh,
ce n'est vraiment pas du meilleur goût,
mais cette recréation - russe -, en mode "confiné", de son célèbre auto-portrait,
a indéniablement... du chien...
(source


🜛🜛🜛


Allons-y pour le point. 



Nous savons déjà que le lud- de Ludwig en est un beau dérivé, par l'étymon germanique *hlūda-, “bruyant, sonore”....

Et aussi que ce *hlūda- est à l'origine de l'anglais loud, “bruyant, sonore”, ou encore du néerlandais luid, de même sens.

Nous avons ensuite appris que par *ḱleus-, une forme étendue de notre *ḱleu-entendre”, nous arrivaient notamment l'allemand lauschen et l'anglais listenécouter”.
The Audience is Listening, 27 décembre 2020

Nous avons découvert, également, que (notamment) le vieux norois hljóðécoute, son, silence”, l'allemand littéraire Leumundréputation...”, ou l'islandais hler, écoute, écoute aux portes”, en provenaient.



Nous savons encore, depuis le 10 janvier 2021, que de notre *ḱleu-entendre”, descendent l'islandais hlýr, joue”, avant d'un navire”, joue d'une hache”, ou même l'anglais (obsolète) leerjoue, visage, complexion...”.

Au nombre des dérivés latins, cette fois, de *ḱleu-entendre”, nous avons clueō, on m'appelle” et inclitus / inclutusillustre, fameux”, ce dernier emprunté... en italien, avec inclito, en portugais, avec ínclito, et en espagnol, avec ínclito.

En grec ancien, une myriade de dérivés nous attendaient, comme...
  • κλῠτός, klutós, “renommé, glorieux...”,
  • κλέος, kléos, “rumeur, renommée, réputation...” et une série de composés où il apparaît, de Ἀντίκλεια, Antíkleia, “Anticlée, à Κλεοπάτρα, Kleopátra, “Cléopâtre”, en passant par, par exemple, Εὐρῠ́κλειᾰ, Eurúkleia, Euryclée“.
Entre Anticlée et Euryclée, Ulysse ne savait pas trop à quel sein se vouer, 24 janvier 2021

Nous avons ensuite découvert quelques très beaux dérivés celtiques de notre *ḱleu-, comme...

le breton klevoutentendre ; ressentir”, le vieil irlandais rocluinetharentendre”, l'irlandais et le manxois cluin, le gaélique écossais cluinn, le gaulois clouiou, le gallois clywed, le cornique klywesentendre...”.

le dimanche indo-européen passe enfin à l'in*klus-ī-vité, 31 janvier 2021 

Toujours issus de la forme de degré zéro *ḱlu-to-, nous avons épinglé quelques jolis dérivés celtiques, issus du proto-celtique *kluto-, “renommée”, comme...
  • le gaulois cluto- (ou clouto-), “renommé, célèbre”,
  • le gaélique écossais Clota, “Renommée”, et à sa suite l'anglais Clyde,
  • l'irlandais cloth, “renommée, honneur, réputation”,
  • le gallois clod, “renom ; fameux, renommé”, ou encore
  • le breton klod, “gloire, renom”.
la Clyde est renommée. C'est comme ça., 7 février 2021 


Notons encore, au rang des dérivés celtiques de notre adorable *ḱleu-, les irlandais clú“réputation (favorable), louange, renommée”, et cluas, “oreille”, le vieil irlandais clúas, “oreille”, le gallois clustoreille”, ou encore le gaulois clutso- qui servira dans de nombreux toponymes, dont Les Clots (Savoie), Clot (Tarn, Gers et Alpes-Maritimes), La Clotte (Aude), Esclottes (Lot-et-Garonne)...
bíonn cluasa ar an gcoill, 14 février 2021
 
Nous découvrions, le 21 février 2021, que la forme substantivée *ḱleu-os“renommée, gloire...” avait donné, dans les langues balto-slaves, des dérivés tels que le lituanien oriental šlavė, “honneur...”, le letton slava“renommée...”, le russe сло́во, slóva, “mot...”, et surtout, créé sur la sémantique de mot, l'ethnonyme Slaves (en russe, Славя́не, Slavjánje). 

Le 28 février 2021, nous examinions la descendance balte et slave de notre *ḱleu- via la forme de timbre o *ḱlous-, “renommée, gloire...” dont est issu l'étymon balto-slave *klouʔṣ- :

  • le letton klàusît, “écouter, obéir”, 
  • le vieux prussien klausiton, “entendre”,
  • le russe слушать, “écouter”,
  • les chèques slyšet, “entendre”, et slušet, “convenir...”, 
  • le bulgare slúšam, “écouter ; suivre, obéir”...

Květiny, květiny, na zelené lučině, 28 février 2021

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Chères lectrices, chers lecteurs, 

Nous venons de nous pencher, ces deux derniers dimanches, sur les dérivés des étymons balto-slaves
  • *ślow-es-
et
  • *klouʔṣ-.

Aujourd'hui, nous allons nous intéresser aux dérivés d'un troisième étymon (tout aussi reconstruit que les deux autres),

*ślōuʔ-,

dont le champ sémantique englobe les notions de...

renommée, gloire.

Oh oui, rien de bien neuf, ni d'étrange à cela, comme nous l'ont déjà prouvé à maintes reprises certaines des acceptions des dérivés de notre charmante *ḱleu-entendre”.


Ben oui, pensons notamment à...
  • l'allemand littéraire Leumund, “réputation...” (via *ḱleu-mn-to-),
  • l'espagnol ínclito, “illustre, fameux” (via *ḱlu-to-),
  • le grec ancien κλέος, kléos, “rumeur, renommée, réputation...” (via *ḱleu-os),
  • le breton klod, “gloire, renom” (via *ḱlu-to-)
  • l'irlandais clú, “réputation (favorable), louange, renommée” (via *ḱleu-os)
et même, jusque dans les langues baltes, au...
  • letton slava, “renommée...” (via *ḱleu-os).


--- ATTENTION --- ATTENTION --- ATTENTION ---


Ne lisez ce qui suit qu'à vos risques et périls, et CERTAINEMENT PAS si pour vous, l'ignorance du rapprochement entre Louis, Clovis et "listening" n'empêche pas d'aller chez le coiffeur à vélo avant le couvre-feu de 18h00. (source)

Et franchement, sans rire,
vous pouvez VRAIMENT zapper ce passage,
à moins que vous ne soyez aussi euh... passionnés ? que moi.



Au vu de cette consonne occlusive glottale ʔ
qui marque admirablement bien la fin de ce radical balto-slave *ślōuʔ-Rick Derksen,
s'alignant par là même sur l'avis du grand linguiste néerlandais et professeur émérite Frederik Kortlandt (Frits pour les intimes),...
Frits Kortlandt, linguiste surdoué
indo-européaniste, et notamment spécialiste des langues baltes et slaves
(mais il a écrit aussi sur le celtique, le germanique et l'arménien...)

Rick Derksen, disais-je, fait remonter ce sympathique *ślōuʔ-...

- à vos souhaits.
- merci.

...balto-slave à un substantif indo-européen de forme allongée, dont la terminaison aurait été constituée par une laryngale

- Laryngale ?? Voyez voyelles-pivots et théorie des laryngales, sur la page très pompeusement nommée Éléments de linguistique -,

en l'occurence *h₁-.

La présence de cette consonne occlusive glottale ne représenterait ainsi que la lointaine, lointaine survivance de cette laryngale originelle.

(Notez qu'une consonne glottale EST une laryngale, mais bon, je ne veux pas non plus faire de mon nez.)


Ce mot indo-européen construit sur la racine *ḱleu-, serait *ḱlēuh₁-.

Pour résumer tout ce qui vient d'être dit :

**********

racine proto-indo-européenne *ḱleu-entendre”
forme substantivée allongée *ḱlēuh₁-, “renommée, gloire...”
proto-balto-slave *ślōuʔ-

**********



Toutes ces reconstructions, théoriques, cela peut paraître bien léger...

Ce qui fait dire à certains,
- souvent des abrutis incultes qui confondent linguistique et idéologie -
que la linguistique historico-comparative n'est qu'un ramassis de fadaises.
(Si ce ne sont pas des abrutis incultes, alors je vous prie de m'excuser, mais dites-moi alors ce qu'ils sont ? Comment expliquer autrement leur ton péremptoire, leur inepte prise de position qui ne se fonde sur rien ; et leur remarquable méconnaissance (ou mépris ?) des travaux de ces milliers de linguistes qui ont oeuvré et oeuvrent sans relâche à faire évoluer la science ?)
Surtout quand il s'agit de l'indo-européen, hein, car, en grossissant très légèrement le trait,
"quand même, tout ça c'est qu'une histoire de fachos, de racistes, de suprémacistes blancs, de colonialistes et de nazis."
Bref. J'arrête ; je vais à nouveau m'énerver, et ce n'est pas bon pour ma tension. D'homme blanc hétérosexuel cisgenre souchien non racisé privilégié.

Je suppose que vous savez ce qu'est une théorie scientifique
Le scientifique examine un phénomène, en tire, pour l'expliquer, une ou plusieurs hypothèses, et vérifie ensuite si les faits rapportés - l'expérience - confirment (ou pas) les hypothèses de départ. De là naîtra une théorie. Fondée donc sur l'expérimentation. Et qui peut - et va - évoluer, à mesure de l'évolution de la science et des connaissances.


Jusqu'à nouvel ordre
- abrutis incultes dans l'équation ou pas -,
la théorie d'une proto-langue de laquelle descendrait la plupart de nos langues européennes et indiennes (pour faire simple) est celle qui permet de coller au plus près à tous ces phénomènes, observés, conduisant à l'évolution de nos langues ; phénomènes que nous pouvons d'ailleurs parfaitement vérifier depuis l'avènement de l'écriture.

Évidemment, tant qu'on n'aura pas mis au point un moyen d'entendre (*ḱleu-) des Indo-Européens deviser entre eux, on n'aura jamais aucune preuve que cette langue ait jamais existé. 
Évidemment.

Mais AUCUNE autre théorie ne permet d'expliquer aussi bien, aussi scientifiquement, aussi systématiquement - et qui plus est, de plus en plus précisément, à mesure des progrès réalisés ! - les phénomènes linguistiques avérés, attestés.

Ces abrutis incultes me font penser à ceux d'un seul livre...
Affirmer que la Terre est plate sera vraisemblablement l'étape suivante.

Je vous renvoie à une très belle anecdote, narrée par David W. Anthony, passionné et passionnant, et que j'avais reprise ici : Un Anglais ro@ulant en Jeep Wrangler (et non en Land-Rover) ? Wrong. Simplement wrong, racontant que l'on a pu attester, lors de fouilles archéologiques, un état de langue antérieur tel qu'il avait été reconstruit hypothétiquement par la linguistique historico-comparative.
--- FIN DE LA ZONE À RISQUES --- FIN DE LA ZONE À RISQUES ---



Nous en étions restés à :

**********

racine proto-indo-européenne *ḱleu-entendre”
forme substantivée allongée *ḱlēuh₁-, “renommée, gloire...”
proto-balto-slave *ślōuʔ-

**********


Eh ben, complétons peu à peu le schéma, avec maintenant les deux étymons (reconstruits, gnagna gna gnagna gna euh) que l'on fait descendre du proto-balto-slave *ślōuʔ-,
  • le proto-balte *šlovė-
et
  • le proto-slave *slàva-.

L'on peut attribuer à ces étymons un sens générique, si l'on se fie à leurs dérivés : “renommée, gloire...”

Reprenons et complétons donc :

**********

racine proto-indo-européenne *ḱleu-entendre”
forme substantivée allongée *ḱlēuh₁-, “renommée, gloire...”
proto-balto-slave *ślōuʔ-, “renommée, gloire...”
proto-balte *šlovė-, “renommée, gloire...”,
proto-slave *slàva-, “renommée, gloire...”.

**********



Rapprochons-nous maintenant encore un peu plus du concret, de l'avéré, de l'expérimenté...

Les mots qui viennent sont attestés, et ne sont donc plus obligés d'afficher un astérisque initial.


Parmi les dérivés baltes de šlovė-, “renommée, gloire...”, nous mentionnerons...
  • le lituanien šlovė̃, “honneur, renommée”,
et
  • le letton - mais bon, très sincèrement, l'est-on vraiment ? - slāve“renommée”. Il ne s'agit plus que d'un mot archaïque (on le perd après le XVIIème).

**********

racine proto-indo-européenne *ḱleu-entendre”
forme substantivée allongée *ḱlēuh₁-, “renommée, gloire...”
proto-balto-slave *ślōuʔ-, “renommée, gloire...”
proto-balte šlovė-, “renommée, gloire...”,
lituanien šlovė̃, “honneur, renommée”,
letton archaïque slāve“renommée”.

**********


Et parmi les mots slaves, cette fois, dérivés donc de slàva-, “renommée, gloire...”, nous pourrions citer
- et c'est ce que nous ferons, je ne vous le cache pas -...

dans les langues slaves orientales,
  • le biélorusse сла́ва, slávagloire, renommée”,
  • le russe сла́ва, slávagloire, renommée, réputation, renom” mais aussi rumeur”,

Et je remercie ici une lectrice enthousiaste qui m'a rappelé cet extrait de Boris Godounov, de Moussorgski (deuxième tableau du Prologue) :

Слава царю, слава! ("Slava tzariou, slava !")
Слава! Слава! Слава! Слава! ("Slava !", je vous laisse deviner le reste)
 
Gloire au tzar, gloire ! 
Gloire ! Gloire ! Gloire ! Gloire ! 

 (Pour les vrais mélomanes, la traduction de Stromae : BorisGodounovoutai)

Boris Godounov,
ici sous les traits du (très) renommé baryton-basse gallois,
Sir Bryn Terfel,
qui nous permet en outre de faire le lien avec
le gallois clod, “renom ; fameux, renommé”
(source)

 

  • l'ukrainien сла́ва, slávagloire, renommée”,
l'Ukraine, dont la réputation n'est vraiment plus à faire



dans les langues slaves méridionales,
  • le - mais ouiiiiii !! vieux slavon d'église ⱄⰾⰰⰲⰰ, slavagloire, renommée”,
  • le macédonien слава, slavagloire, renommée”,
  • le slovène slávagloire, renommée”,

ah oui, la Slovénie... Il y a encore de la vraie nature, là-bas,...

... tout n'y a pas été refait



et dans les langues slaves occidentales,
  • le tchèque slávagloire, renommée”,
  • le polonais sławagloire, renommée”, mais aussi, d'une personne, une célébrité”,
et enfin
  • les haut-sorabe et bas-sorabe sławagloire, renommée”.

le haut-sorabe se parlant en Haute-Lusace,
et le bas-sorabe - sans rire - en... Basse-Lusace ;
la Lusace s'étendant à l'est de l’Allemagne et au sud-ouest de la Pologne.


Mais oui, vous l'avez constaté comme moi : quelle unanimité tant dans la forme que le sens, parmi les dérivés slaves !
On pourrait presque croire qu'ils descendent d'un ancêtre commun, tiens...

**********

racine proto-indo-européenne *ḱleu-entendre”
forme substantivée allongée *ḱlēuh₁-, “renommée, gloire...”
proto-balto-slave *ślōuʔ-, “renommée, gloire...”
proto-slave slàva-, “renommée, gloire...
russe сла́ва, slávagloire, renommée, réputation, renom ; rumeur,
slovène slávagloire, renommée”,
tchèque slávagloire, renommée”
...

**********


Mais nous n'en resterons pas là...




C'est à partir de ce mot slave сла́ва/sláva, “gloire...” que s'est construit le suffixe -слав/-slav !

Et c'est ici qu'émerveillés, vous comprenez pourquoi votre serviteur s'est tapé la traduction de cet extrait de The Enigma, film consacré à... Sviato-slav Richter.


Sur un modèle comparable à celui employé en grec ancien
les langues slaves ont construit de superbes anthroponymes, prénoms composés où “gloirea la part belle. En voici quelques-uns : 
  • Святослав, Sviatoslav (idem pour Svetoslav, Svatoslav, Świętosław, Svetislav), où le premier terme serait issu du proto-slave *svętъ, *svietj'saint, et pourrait se comprendre dès lors comme “(qui rend) gloire au Saint”,

  • Ярослав, Yaroslav, Iaroslav, où le premier terme viendrait du proto-slave *jȃrъ, iar', et pourrait signifier violent, furieux, ou brillantIaroslav pourrait alors se traduire par “ardent et glorieux” ou plutôt - et je préfère - “gloire lumineuse”...,

la ville de Iaroslav, fondée par... Iaroslav le Sage en 1010
(le hasard fait quand même bien les choses),
et étape (obligée !) sur le trajet du mythique Transsibérien




  • Мстислав, Mstislav, dont le premier terme descendrait du proto-slave *mьsta, au sens de revanche, vengeance. Mtislav pourrait ainsi signifier “vengeance glorieuse”“revanche pour la gloire”... (?),

  • Ростислав, Rastislav, Rostislav (aussi sous les formes Rostyslav, Raścisłaŭ, Rościsław...), où le premier terme évoquerait la croissance (pёшти, riochti), et pourrait ainsi se traduire par - lançons-nous - "Gloire qui va croissant" (?),

  • Станислав, Stanislav (aussi Stanislas, Stanisław), dont le premier terme proviendrait de стать, statj', “devenir”, et pourrait ainsi se traduire par “qui accède à la gloire”, “gloire et devenir” (?),
Nancy et sa Place Stanislas,
du nom de Stanislas Leszczynski,
beau-père de Louis XV
(et hors du centre du Monde, connu comme roi de Pologne)


  • Владислав, Vladislav, aussi Ladislas, Władysław, Ładysław, où ce Vlad provient de владь, vladĭ“pouvoir, puissance”, et pourrait se traduire par “pouvoir et gloire”...,
Eh oui, le regretté Ladislas de Hoyos, ou plus précisément
Ladislas Alfons Constantin Heinrich Johannes de Hoyos,
brillant journaliste, né à... Ixelles (!), et...
fils du comte austro-hongrois Ladislaus Franz Leopold Hoyos von Stichsenstein


Ne m'en veuillez pas, mais ces noms germaniques à rallonge me font irrésistiblementirrépressiblement, penser à ce sketch des Monty Python autour de ce grand compositeur dont on parle si peu,
Johann Gambolputty de von Ausfern Schplenden Schlitter Crasscrenbon Fried Digger Dangle Dungle Burstein von Knacker Thrasher Apple Banger Horowitz Ticolensic Grander Knotty Spelltinkle Grandlich Grumblemeyer Spelterwasser Kürstlich Himbleeisen Bahnwagen Gutenabend Bitte Eine Nürnburger Bratwustle Gerspurten mit Zweimache Luber Hundsfut Gumberaber Shönendanker Kalbsfleisch Mittler Raucher von Hautkopft of Ulm.







Allez, pour la route, l'ancien nom d'une ville cette fois ; une ville ukrainienne...

Cette ville s'appelle aujourd'hui
- c'est nouveau, ça vient de sortir -
Дніпро, Dnipro.

le Grand Hôtel Ukraine, à Dnipro 

Et avant mai 2016
- et vous pourrez comprendre très vite pourquoi elle fut renommée -
on l'appelait (ou on essayait de l'appeler) Дніпропетро́вськ, Dnipropietróvsk.


Même pour les autochtones, c'était imprononçable... 

Et si pas imprononçable, mais d'une longueur...


Vous imaginez un appel d'urgence, là-bas, avant mai 2016 ?
- Allo, je viens d'assister, avec un ami, à un terrible accident de voiture, le conducteur de la voiture est vivant, mais dans un sale état...
- Où cela s'est-il passé ? 
- À Dniepropietrovsk.
- D'accord, nous arrivons de suite.
- Euh, prenez votre temps ; le conducteur vient de décéder. Mais avant de nous quitter, il a pu dicter ses dernières volontés à mon ami, pendant que j'étais avec vous au téléphone.

Ce magnifique Dniepropietrovsk était composé de Дніпро́, Dnipró, Dniepr” (ben oui, le fleuve),

croisière sur le Dniepr

et de Петро́вський, Pitróvsʹki', du nom du glorieux révolutionnaire soviétique
(vous en connaissez, vous , des révolutionnaires soviétiques qui ne soient pas glorieux ?),
l'Ukrainien Hryhoriy Ivanovych Petrovsky, Grigory Ivanovich Petrovsky.

Grigory Ivanovich Petrovsky,
3 février 1878 - 9 janvier 1958
(calendrier grégorien)

Et ici, vous prenez conscience de l'effort largement consenti par le pouvoir soviétique - de sa compassion, de sa réelle mansuétude, même - pour ne pas avoir nommé cette ville Dnieprogrigoryivanovichpetrovsk.

Mais avant 1926
- et c'est ici que ça devient intéressant -,
Dniepropietrovsk s'appelait... Екатеринослав, Yekaterinoslav,
de Екатери́на, Iekaterína, “Catherine”.

Mais oui, Catherine II, la Grande, la seule !

Yekaterinoslav était ainsi nommée à la gloire de Catherine...


Catherine II, la Grande Catherine,
née à Stettin (l'actuel Szczecin, Poméranie)
le 21 avril 1729 (2 mai dans notre calendrier),
et morte à Saint-Pétersbourg
le 6 novembre 1796 (17 novembre dans notre calendrier) 



autre ressortissant de la Poméranie


 
Mais donc..., Louis, Ludwig, Clovis,
  • les anglais loud et listen,
  • les allemands lauschenécouter” et Leumundréputation...”,
  • l'islandais hler, écoute, écoute aux portes”,
  • l'espagnol ínclito, illustre...”,
  • nos Anticlée, Euryclée, Damoclès, Empédocle, Héraclès et Cléopâtre,
  • le vieil irlandais rocluinethar, le gaulois clouiou, le breton klevout, le gaulois cluto-renommé, célèbre”, le gaélique écossais ClotaRenommée”, l'irlandais cloth, renommée, honneur, réputation”,
  • le gallois clod, “renom ; fameux, renommé”, le breton klod, “gloire, renom”,
  • l'écossais cluasoreille”,
  • le gaulois Rokloisiabo,
  • et tous ces toponymes que sont Les Clots, en Savoie, Clot, dans le Tarn, le Gers et les Alpes-Maritimes, La Clotte, dans l'Aude, Esclottes, dans le Lot-et-Garonne,
  • notre français slave, le russe сло́во, “mot”, le slovène slovọ̑ , “l'adieu, le départ”,
  • le letton klàusîtécouter, obéir”, le vieux prussien klausitonentendre”, le russe слушать, “écouter”, les chèques slyšet, “entendre”, et slušet, “convenir...”, le bulgare slúšam, “écouter ; suivre, obéir”...,

et puis aussi...

le lituanien šlovė̃, “honneur, renommée”, et tous ces mots slaves de type сла́ва, sláva, pour “gloire, renommée”,

et aussi tous ces anthroponymes slaves en -slav, comme...
Святослав, Sviatoslav, Ярослав, Iaroslav, Мстислав, Mstislav, Ростислав, Rastislav, Станислав, Stanislav , Владислав, Vladislav...

TOUS sont étroitement apparentés !


Auriez-vous jamais imaginé qu'un jour, vous puissiez faire le lien entre Esclottes, dans le Lot-et-Garonne, et le russe Sviatoslav ?  
Euh, j'avoue que moi : JAMAIS.

Et entre Ludwig et le gaulois Rokloisiabo ?

Et entre Clovisle russe слушать, “écouter”, et la Clyde ?




Ben ouais... 

À chaque fois, ça fait le même effet.

Bon, maintenant, il est bien certain que l'ignorance du rapprochement entre Louis, Clovis et listening ne va pas empêcher grand monde d'aller chez le coiffeur à vélo avant le couvre-feu de 18h.
N'exagérons rien non plus.


Dimanche prochain, amies, amis, nous terminerons ce chapitre balto-slave par un article un peu plus court, moins indigeste, histoire de respirer un peu, de prendre des forces avant de passer aux dérivés...
Mais ça ce sera pour après.



D'ici là, protégez-vous, prenez soin de vous et de vos proches, 
Portez-vous bien.




Frédéric


******************************************
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
******************************************

Et pour nous quitter en beauté...


Nous avons commencé avec Sviatoslav, 

nous terminerons avec Mstislav.


Voici l'interprétation, magistraleenvolée,

du prélude de la Suite pour violoncelle no 1 en sol majeur, BWV 1007
- que Bach composa en 1720 -,

que nous offre le merveilleux, et tellement regretté

Mstislav Rostropovich.


Avec lui, tout paraît si simple,
la musique va de soi.


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5 commentaires:

Unknown a dit…

J'adore vous lire !
Bien sûr, je ne comprends pas 99.99% de ce que vous racontez, mais à force de le répéter il me reste des bribes en mémoire.
Vous devez être un enseignant merveilleux, à savoir ainsi captiver l'attention jusqu'à faire lire jusqu'à la fin un texte aussi barbare !
Merci
P.S. : le slav, je ne n'oublierai pas

Frédéric Blondieau a dit…

:-) Grand merci !

Je ne suis hélas pas enseignant, mais qui sait, dans une prochaine vie...

Passez un excellent dimanche !

LeScrat a dit…

Bonjour Frédéric,

Certains anthroponymes en –slav sont peut-être moins évidents à détecter. Je ne citerai pas Boris dont l’étymologie est incertaine mais que certains considèrent comme la forme courte de Borislav (combat pour la gloire? gloire du combat?). Je ne parlerai pas non plus des prénoms « réversibles » très pratiques pour les parents en mal d’inspiration tels que Slavoljub/Ljuboslav ou Slavomir/Miroslav.
Je pense plutôt à Laszlo qui, bien que hongrois -donc non indo-européen- puise son origine dans (V)ladislav; ou au tchèque et au slovaque Václav, équivalents du russe Вячеслав, Viatcheslav, Wenceslaus (plus grande gloire? l'homme le plus glorieux?).

Sinon, savais-tu que Naxos, la première colonie grecque en Sicile avait été fondée en 735 A.C par un certain Θεοκλῆς Théoclès ? (gloire de dieu) qui fonda aussi Catane?
Et…., pardi ! Quels prénoms retrouve-t-on dans la plupart des langues slaves? Mmmh? Tous les Bogusław, Bogosław, Bohusław, Bogsław ,Богуслав, Bogislaw, Bogislaus, composés de богъ, bogü (dieu) et de –slav que tu nous as si brillamment expliqué.

Je ne t'apprendrai rien en disant que le russe s’est par ailleurs servi de ces deux éléments pour construire son expression "слава Богу" slava bogou qui correspond à nos "Dieu merci!", "Dieu soit loué!".

N’empêche, si j’osais, j’ajouterais au couple Théoclès /Богуслав, un troisième élément avec Dioclétien. Qu'en penses-tu?

Belle fin de week-end et belle semaine!

Frédéric Blondieau a dit…

Bonjour @LeScrat,

Merci pour ces pistes sur -slav. Laszlo et Vaclav en sont de fait de belles illustrations....
Ah oui, j'avais zappé tous ces prénoms à la gloire de dieu...

Avec Dioclétien, ça fait un peu ménage à trois, mais bon... ! ;-)

Bonne semaine !
Frédéric

LeScrat a dit…

Bonjour @Frédéric,

Eй-богу! Juste après l'envoi du commentaire, me suis effectivement dit que "couple" n'était sûrement pas le terme le plus adéquat. Blogger étant si peu malléable, j'ai renoncé à tout recommencer.

"Duo" convient sans doute mieux. D'autant qu'un troisième le transformerait en trio..cosmique. Ou en Sainte Trinité ;-)

Merci et belle semaine!