- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 1 août 2021

Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses

        





« Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement suivants :

Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon savoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères, et, s'ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part de mes préceptes, des leçons orales et du reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.

Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté.

Je ne pratiquerai pas l'opération de la taille, je la laisserai aux gens qui s'en occupent.

Dans quelque maison que j'entre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.

Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l'exercice de ma profession, je tairai ce qui n'a jamais besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.

Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire ! »


Traduction (par Littré, quand même)
du texte d'origine du
Serment d'Hippocrate






Bonjour à toutes et tous.

Nous poursuivons, en ce jour, notre grrrrrrande étude des dérivés de la racine proto-indo-européenne...

*mer-mort”.





À la porte du Ciel, un type se présente au bureau des réclamations devant saint Pierre ; il est en furie : 

« – Mais bon sang, qu’est-ce que je f… là ? Regardez-moi : j’ai 35 ans, je suis en pleine forme, je ne bois pas, je ne fume pas. Hier soir, je me couche bien sagement dans mon lit,
et voilà que je me retrouve au Ciel.
C’est certainement une erreur !

– Eh bien, lui répond, troublé, saint Pierre, ma foi, ça n’est encore jamais arrivé, mais enfin... je vais vérifier. Comment vous appelez-vous ?

– Dugommeau. Norbert Dugommeau.

– Oui… Et quel est votre métier ?

– Garagiste.

– Voyons un peu… Ah ! Oui, voilà votre fiche. Dugommeau Norbert, garagiste… Oui, oui, oui… 

Eh bien, monsieur Dugommeau, vous êtes mort de vieillesse, voilà tout !

– De vieillesse ? Mais enfin, ce n’est pas possible, je vous le répète, j’ai 35 ans !

– Ah, moi, je ne sais pas, Monsieur. Mais on a fait les comptes de toutes les heures de main-d’œuvre que vous avez facturées et au total cela fait 123 ans ».




Allez, le point :

🜛🜛🜛



🜛

C'est le 4 juillet 2021 que nous avons débuté cette étude de la racine proto-indo-européenne *mer-mort”, avec quelques dérivés italiques et particulièrement latins, notamment morior, morīmourir” dont est issu notre français mourir.

Ce jour-là, nous avons également parlé...
  • du datif singulier vénète 𐌌𐌖𐌓𐌕𐌖𐌅𐌏𐌝, murtuvoi, mort”,
et
  • d'autres dérivés latins de morior, morīmourir” :
  • mortuusmort”, qui a cessé de vivre”, “où rien ne se passe ; qui demeure sans vie, dont la vie s'est retirée”, dont est issu notre français mort,
  • mors, mortis, “(la) mort”, dont est issu, par son accusatif mortemle substantif français (la) mort
  • mortālispérissable, sujet à la mortd'où... humain”, et son antonyme immortālis, que nous emprunterons pour en faire nos mortel et immortel,
ou encore
  • le composé moribundus, que nous emprunterons sous la forme moribond.
Heyr himna smiður, 4 juillet 2021

🜛

Le 11 juillet 2021, nous nous sommes penchés sur ses dérivés germaniques, au nombre desquels nous citerons...
  • le vieux norois morðmeurtre”, d'où...
    • l'islandais morðle norvégien mordle suédois mordle danois mordou le féroïen morð.
  • le vieil anglais morðmeurtre” (ou dans un emploi poétique, mort, crime”), d'où le moyen anglais morth, murth, d'où l'anglais... murder, meurtre”,
  • le vieux frison morthd'où le saterlandais Morde, Moort, meurtre” et le frison occidental moard, meurtre”,
  • le vieux saxon morth, d'où le moyen bas allemand mōrt, d'où le bas allemand mort,
  • l'ancien haut allemand, mordd'où le moyen haut allemand mort, d'où l'allemand Mord, meurtre”,
  • le francique (non attesté) *murth, *morth, qui explique le vieux néerlandais morth, et à sa suite, le moyen néerlandais mort, dont sera issu le néerlandais moord,
  • le vieux norois myrðaassassiner”, d'où l'islandais myrðaassassiner”, le danois myrdeassassiner”, le norvégien Bokmål myrdeassassiner”, le féroïen myrðaassassiner”,
  • le gotique 𐌼𐌰𐌿𐍂𐌸𐍂, maurþrmeurtre”,
  • le vieil anglais morðor, meurtre”,
  • le vieux francique *murthrjan-, assassiner”, d'où l'ancien français meurtrir, murtrir, assassiner”, d'où nos meurtre et meurtrissure.

🜛

Le 18 juillet, nous nous baladions parmi les dérivés celtiques de notre racine *mer-mort”, dont notamment...
  • le vieil irlandais marbd'où l'irlandais marbhle manxois marroole gaélique écossais marbh,
  • le gallois marw,
  • le moyen breton marf, maru, d'où le breton marv,
  • le cornique marow,
  • le moyen gallois marwd'où le gallois marw.

Nous avions également traité des composés...
  • moyen irlandais marbnad, d'où l'irlandais marbnath,
  • moyen gallois marwnad, d'ou le gallois marwnad,
  • moyen breton marvnad, d'où le breton marvnad, toujours élégie”,
dont on pourrait retrouver la trace dans certains noms gaulois, avec...
  • Vonatorix, qui désignerait un Maître des chants”, 
ou
  • Vanatactus, qui serait celui qui mène ou dirige les chants”.
Enfin, nous avions parlé de deux noms gaulois non plus apparentés à *mer-mort”, mais vraisemblablement construits sur le terme celtique *-natu : Vanatus et Vanata, peut-être  antonomases de la fonction de pleureur lors de funérailles.


🜛

Le 25 juillet, nous avons découvert quelques dérivés anciens grec de notre racine *mer-mort”, dont...
  • βροτός, brotósmortel”,
  • ἄμβροτος, ámbrotos, immortel”, 
    • d'où ἀμβρόσῐος, ambrósios, “immortel, divin”
    • d'où ἀμβροσία, ambrosía, “nourriture des dieux, ambroisie”,
  • μορτός, mortós, mortel”.
Nous en avons profité pour comparer ces dérivés avec leurs cognats sanskrits :
  • l'adjectif मृत, mṛtámort”,
  • मर्त, marta, le mortel, l'homme”,
  • अमृत, amṛ́ta, immortel” “élixir de vie, immortalité, nourriture et nectar des dieux”
 
🜛🜛🜛



Continuons notre voyage, mais en restant toutefois en grec ancien. 

Et je vous le dis tout de suite, l'article de ce dimanche, faute de temps, sera court.
Court, mais bref.



La semaine dernière, nous avions vu que nous pouvions établir un lien entre Ambroise Paré,
le père de la chirurgie moderne,
et notre redoutable racine *mer-mort”, puisque le prénom Ambroise fait référence au grec ancien ἀμβροσία, ambrosía, “nourriture des dieux, ambroisie”,
 
créé sur ἄμβροτος, ámbrotos, immortel”, 
 
antonyme de βροτός, brotósmortel”, joli dérivé de *mer-.

Richard Anthony

antonyme
, pas anthony.
Pfff, parfois, je suis désolé de le dire,
mais vous êtes lourds.




Eh bien, je vous propose de rester encore quelques instants dans le domaine médical.

Vous connaissez Esculape, bien sûr !
Et si pas lui personnellement, au moins, vous connaissez son bâton

Que l'on appelait
- les choses sont bien faites, quand même -
bâton d'Esculape.




Ἀσκληπιός, Asklêpiós - notre Esculape -, fils d'Apollon, qui soignait les humains, mourra foudroyé par Zeus pour avoir ressuscité les morts.

Esculape



Ah ça, sur l'Olympe, on n'aimait pas trop mélanger ni les torchons et les serviettes, ni les Immortels et les mortels.

Le principal lieu de culte dédié à Asklêpiós était situé en Épidaure, où les pèlerins venaient de loin pour recouvrer la santé.

le Sanctuaire d'Asclépios, en Epidaure
(source)


Eh bien, akesímbrotos était l'une des épithètes de ce dieu guérisseur.
Composé sur ἀκέομαι, akéomai, et βροτός, brotósmortel”, ce théonyme pourrait se traduire par celui qui soigne les mortels.

À noter que de théonymeakesímbrotos est devenu anthroponyme.
Une revanche, peut-être, des mortels vis-à-vis des dieux ?


Oh, des anthroponymes créés sur βροτός, brotósmortel”, il y en a à la pelle... Une cinquantaine. En tout cas, selon le regretté Olivier Masson.

Olivier Masson,
3 avril 1922, Paris - 23 février 1997, Paris,
linguiste qui s'intéressait à l'épigraphie grecque, chypriote et même phénicienne,
il fut professeur de philologie grecque à l'École pratique des hautes études.



Et si nous passions en revue quelques-uns de ces fameux anthroponymes ? 

Citons par exemple...
  • Ἐχέμβροτος, Ekhémbrotos, littéralement “qui possède des mortels”ἔχω, echo se traduisant par avoir.
Vous en connaissez peut-être un, d'Ekhémbrotos...

Francisé en... Échembrote, poète grec d'Arcadie.

l'Arcadie,
la partie centrale, très montagneuse, du Péloponnèse


Échembrote offrit un trépied de bronze à Héraclès lorsque ce dernier remporta les Jeux Amphictyoniques (les jeux publics de l'époque, imaginés pour souder la nation grecque).

Un trépied de bronze ! On n'a toujours pas compris ce qui avait poussé Échembrote à offrir pareil cadeau à Héraclès, et à ce jour, on n'a toujours pas non plus retrouvé tous les morceaux d'Échembrote, dont le corps fut découvert, haché menu, sous un trépied de bronze.

 
  • Θεόμβροτος, Theómbrotos, littéralement “dieu des mortels (?)θεός, theós, signifiant “dieu”. 
Théombrote était un philosophe cynique, que l'on confond souvent avec Cléombrote d'Ambracie qui, même si platonicien, était encore plus cynique que Théombrote : après avoir lu ce que Platon faisait dire à Socrate sur l'immortalité de l'âme dans le Phédon, Cléombrote en conclut que lui-même serait nettement mieux dans la vie d'après, et alla se jeter dans la mer.
 
Mais j'y pense : voilà peut-être aussi ce qui poussa Échembrote, affublé dans cette vie d'un prénom disons... difficile, à offrir un trépied de bronze à Héraclès ?

La Mort de Socrate,
David, 1787

La mort de Socrate, de David,
revue par le dessinateur Renaud
(source)


  • Cléombrote, vous avez dit Cléombrote ? Κλεόμβροτος, Kleómbrotos. Vous devriez pouvoir traduire cet anthroponyme si vous avez lu Entre Anticlée et Euryclée, Ulysse ne savait pas trop à quel sein se vouer, puisqu'il se compose de κλέος, kléos, “gloire” et de βροτός, brotós, “mortel”, pour donner... “glorieux mortel”. Outre le platonicien Cléombrote d'Ambracie, nous pourrions citer Cléombrote Ier, régent de Sparte de 480 à 479 av. J.-C., et frère de Léonidas.
les Manons de Léonidas, une tuerie.
Il y a même la version sans noisettes,
pour les plus spartiates.


On connaît une variante (attestée) à Κλεόμβροτος, Kleómbrotos, qui ne devrait pas trop vous surprendre : Κλεομρτου, Kleomórtou... (dans le cas contraire, ben, il suffit de lire ou relire Ambroise Paré s'était-il vraiment préparé à l'immortalité ?).


  • Στησῐ́μβροτος, Stēsímbrotos, s'est construit, lui, sur ἵστημι, hístēmi, et βροτός, brotós. 
Hístēmi, “placer, mettre en place ; être / se mettre debout, arrêter, établir…”, on en parlait ici : - Et la Stasi, alors ? - Non, RIEN à voir., et nous pourrions peut-être traduire ce composé par l'homme qui se tient debout, ou l'homme établi 
  
Un Stēsímbrotos célèbre ? Bof... Allez, il y a bien ce bon Stésimbrote de Thasos, écrivain grec né vers 470 av. J.-C. et mort vers 420 av. J.-C., ce qui en fait un contemporain de Périclès. Il aurait écrit plusieurs ouvrages aujourd'hui perdus, dont un pamphlet contre Périclès, justement. 
Ah, le grand Périclès, immense homme d'État athénien, qui aura (littéralement) marqué son siècle, et était notamment connu pour faire avaler leurs oeuvres à ses détracteurs.

 

Périclès,
Περικλῆς, Periklễs,
circa -495 - circa -429


Et il y en a encore 
plein d'autres, d'anthroponymes. Une cinquantaine, je vous dis !


Nous terminerons cette courte revue par deux épithètes divines, rapportées par Homère...

  • τερψῐ́μβροτος, terpsímbrotos, composé homérique, épithète d'Helios, créé cette fois sur τέρψῐς, térpsis, “délice, plaisir” et‎ βροτός, brotós, “mortel, être humain” : “qui met en joie le coeur de l'homme”.
(pour les Belges uniquement)

Ne confondons évidemment pas terpsímbrotos, épithète d'Helios,
“qui met en joie le coeur de l'homme”,
et
c
e pauvre Elio, dont le coeur saigne.
(source)


  • Enfin, l'une des épithètes d'Arès, Ἄρης, Árēs, le dieu de la guerre, était Βροτολοιγός, Brotoloigos, “le fléau des mortels...
Arès.
On ne dirait pas, comme ça






Je vous souhaite, à toutes et tous,

un excellent dimanche, une heureuse semaine.






Frédéric



(Les emails du dimanche indo-européen sont à présent envoyés par follow.it.

Il ne s'agit donc pas de spam ;

ces mails gentils tout plein ne constituent donc pas non plus une attaque contre votre ordinateur ou vos données personnelles.)


******************************************
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

******************************************

Et pour nous quitter,

Un motet.

Interprété par... VOCES8.


Voici, de circonstance, 

du compositeur allemand Heinrich Schütz,
(1585 - 1672),

Selig sind die Toten
(Bénis sont les morts),
SWV 391 (1648),



******************************************

Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
  • vous abonner par mail, en cliquant ici, en tapant votre adresse email et en cliquant sur “souscrire”. ET EN CONFIRMANT le lien qui vous arrivera par email dans les 5 secs, et vraisemblablement parmi vos SPAMS (“indésirables”), ou
******************************************



2 commentaires:

LeScrat a dit…

Bonjour Frédéric!

Quel dimanche salutaire ;-) !

Il y aurait tant à dire sur la symbolique du bâton d'Esculape, du serpent en particulier (régénération après ses mues, connaissance, initiation, prudence, équilibre..) et qui n'est naturellement pas l'apanage des cultures indo-européennes.

... Anál nathrach, orth ' bháis ' s bethad, do chél dénmha ... ,

finalement tout est là..

Belle semaine à toi!

Frédéric Blondieau a dit…

Merci @LesCrat ! :-)

Oui, le serpent primordial n'est jamais très loin...

Merci, et bonne semaine à toi !