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dimanche 15 août 2021

deƚel zna mahuan deƚōk 'n

      
deƚel zna mahuan deƚōk 'n,

“pour l'infecter (elle, en fait Oghimb, de Byzance) d'un poison mortel”,


court extrait du 4ème livre, chapitre 25,

À propos du roi Archak, comment il tua le fils de son frère Gnel à cause des calomnies de Tirit' ; comment l'homme de Dieu Nersès le réprimanda et le lui reprocha ; comment il tua ce même Tirit' ; comment le roi Archak pris la femme de Gnel après l'avoir tué ; comment il a plus tard amené une femme nommée Oghimb, de Byzance et comment le prêtre de la cour Mrjiwnik l'a tuée avec un poison mortel dans l'Eucharistie, à l'instigation de P'arhanjem,


tiré de

L'Histoire de l'Arménie

(en trois volumes, dont, hélas, les deux premiers sont perdus), 

que rédigea Fauste de Byzance (IVème et Vème siècles)



(je n'ai pas trouvé d'illustration à l'Histoire de l'Arménie de Fauste de Byzance, alors j'ai repris la couverture de l'Histoire de l'Arménie de son pote Moïse de Khorène, que vous mélangerez avec l'Arménie et Byzance, publié aux presses de la Sorbonne)





Bonjour à tous.


En ce jourd'hui, nous creusons toujours, méticuleusement, autour de ce qu'il nous reste de la racine indo-européenne...


The Comedy of Terrors
(Le croque-mort s'en mêle)
,
film américain de Jacques Tourneur, 1963,
avec notamment Vincent Price, Peter Lorre, Basil Rathbone,
et même Boris Karloff

*mer-mort”.



Mais avant tout, le point !

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C'est le 4 juillet 2021 que nous avons débuté cette étude de la racine proto-indo-européenne *mer-mort”, avec quelques dérivés italiques et particulièrement latins, notamment morior, morīmourir” dont est issu notre français mourir.

Ce jour-là, nous avons également parlé...
  • du datif singulier vénète 𐌌𐌖𐌓𐌕𐌖𐌅𐌏𐌝, murtuvoi, mort”,
et
  • d'autres dérivés latins de morior, morīmourir” :
  • mortuusmort”, qui a cessé de vivre”, “où rien ne se passe ; qui demeure sans vie, dont la vie s'est retirée”, dont est issu notre français mort,
  • mors, mortis, “(la) mort”, dont est issu, par son accusatif mortemle substantif français (la) mort
  • mortālispérissable, sujet à la mortd'où... humain”, et son antonyme immortālis, que nous emprunterons pour en faire nos mortel et immortel,
ou encore
  • le composé moribundus, que nous emprunterons sous la forme moribond.
Heyr himna smiður, 4 juillet 2021

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Le 11 juillet 2021, nous nous sommes penchés sur ses dérivés germaniques, au nombre desquels nous citerons...
  • le vieux norois morðmeurtre”, d'où...
    • l'islandais morðle norvégien mordle suédois mordle danois mordou le féroïen morð.
  • le vieil anglais morðmeurtre” (ou dans un emploi poétique, mort, crime”), d'où le moyen anglais morth, murth, d'où l'anglais... murder, meurtre”,
  • le vieux frison morthd'où le saterlandais Morde, Moort, meurtre” et le frison occidental moard, meurtre”,
  • le vieux saxon morth, d'où le moyen bas allemand mōrt, d'où le bas allemand mort,
  • l'ancien haut allemand, mordd'où le moyen haut allemand mort, d'où l'allemand Mord, meurtre”,
  • le francique (non attesté) *murth, *morth, qui explique le vieux néerlandais morth, et à sa suite, le moyen néerlandais mort, dont sera issu le néerlandais moord,
  • le vieux norois myrðaassassiner”, d'où l'islandais myrðaassassiner”, le danois myrdeassassiner”, le norvégien Bokmål myrdeassassiner”, le féroïen myrðaassassiner”,
  • le gotique 𐌼𐌰𐌿𐍂𐌸𐍂, maurþrmeurtre”,
  • le vieil anglais morðor, meurtre”,
  • le vieux francique *murthrjan-, assassiner”, d'où l'ancien français meurtrir, murtrir, assassiner”, d'où nos meurtre et meurtrissure.

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Le 18 juillet, nous nous baladions parmi les dérivés celtiques de notre racine *mer-mort”, dont notamment...
  • le vieil irlandais marbd'où l'irlandais marbhle manxois marroole gaélique écossais marbh,
  • le gallois marw,
  • le moyen breton marf, maru, d'où le breton marv,
  • le cornique marow,
  • le moyen gallois marwd'où le gallois marw.

Nous avions également traité des composés...
  • moyen irlandais marbnad, d'où l'irlandais marbnath,
  • moyen gallois marwnad, d'ou le gallois marwnad,
  • moyen breton marvnad, d'où le breton marvnad, toujours élégie”,
dont on pourrait retrouver la trace dans certains noms gaulois, avec...
  • Vonatorix, qui désignerait un Maître des chants”, 
ou
  • Vanatactus, qui serait celui qui mène ou dirige les chants”.
Enfin, nous avions parlé de deux noms gaulois non plus apparentés à *mer-mort”, mais vraisemblablement construits sur le terme celtique *-natu : Vanatus et Vanata, peut-être antonomases de la fonction de pleureur lors de funérailles.


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Le 25 juillet, nous avons découvert quelques dérivés grecs 
anciens de notre racine *mer-mort”, dont...

  • βροτός, brotósmortel”,

  • ἄμβροτος, ámbrotos, immortel”, d'où ἀμβρόσῐος, ambrósios, “immortel, divin”d'où ἀμβροσία, ambrosía, “nourriture des dieux, ambroisie”,

  • μορτός, mortós, mortel”.

  • Nous en avons profité pour comparer ces dérivés avec leurs cognats sanskrits :
    • l'adjectif मृत, mṛtámort”,
    • मर्त, marta, le mortel, l'homme”,
    • अमृत, amṛ́ta, immortel” “élixir de vie, immortalité, nourriture et nectar des dieux”
     
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    Le 1er août, nous passions en revue quelques théonymes et anthroponymes grecs anciens créés sur βροτός, brotósmortel” :
    • Ἀκεσίμβροτος, akesímbrotos, celui qui soigne les mortels”, épithète d'Esculape,
    • τερψῐ́μβροτος, terpsímbrotos“qui met en joie le coeur de l'homme”, épithète d'Helios, 
    • Βροτολοιγός, Brotoloigos, “le fléau des mortels”, épithète d'Arès,
    • Ἐχέμβροτος, Ekhémbrotos, littéralement “qui possède des mortels”,
    • Θεόμβροτος, Theómbrotos, littéralement “dieu des mortels (?)
    • Κλεόμβροτος, Kleómbrotos, “glorieux mortel”,
    • Στησῐ́μβροτος, Stēsímbrotosl'homme qui se tient debout ou l'homme établi” (?) 

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    Le 8 août, nous avons abordé les dérivés arméniens de notre racine, avec...

    • l'arménien classique մարդ, mard, au sens d'homme, être humain”, que l'on retrouve dans
      • le substantif arménien classique (non attesté) *ǰmarpersonne mâleque l'on décompose en ayr mard, littéralement personne homme”, ou dans

      • le substantif mard-a-gayl, qui désigne la hyène, (homme-loup”)
     
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    Aujourd'hui, amis lecteurs,

    avec l'aide de notre formidable guide Hrach Martirosyan,


    nous continuons à creuser du côté des dérivés arméniens de notre racine.

    Et là, nous tombons sur...

    l'arménien classique մեռանիմ, meṙanim“mourir”.

    Les plus grands malades d'entre vous auront évidemment décelé dans ce verbe un r roulé.
    Pour les autres, ceux dont la santé mentale est nettement moins préoccupante, ce est la translittération de la 28ème lettre de l'alphabet arménien, ռա, ṙa.

    Hrach Martirosyan nous explique que la présence de ce r roulé indique vraisemblablement l'amuïssement d'un ancien s, ce qui lui fait dire que le joli մեռանիմ, meṙanim“mourir”, proviendrait d'une forme suffixée en -s de notre chère racine,*mer-s-.

    Euh, NON, Monsieur Ucon, je n'ai pas dit qu'un ancien s s'amusait dans ce verbe.

    un s qui s'amuse

     

    L'amuïssement est tout simplement l'atténuation - voire la disparition complète - d'un phonème (ou carrément d'une syllabe) dans un mot. Le phénomène est très courant en phonétique historique ; nous connaissons en français l'accent circonflexe qui, parfois, rappelle la présence d'un ancien s. Comme dans tête, issu de l'ancien français teste.


    Et qu'est-ce qu'elle pouvait bien signifier, cette forme *mer-s-, mmmh ?
    Eh bien, il s'agissait tout simplement d'une forme verbale de *mer- à l'aoriste sigmatique.

    - oh, le pauvre !

    - oh, mais non !
    Je ne parle pas de stigmates.

    Comme le grec ancien, l'arménien classique connaissait l'aoriste, ce temps qui, en français, correspondrait plus ou moins au passé simple, ou au passé antérieur.

    Et pourquoi sigmatique ? (Je fais les questions et les réponses, Monsieur Ucon, profitez de vos vacances. Quand VOUS êtes en vacances, nous sommes TOUS en vacances)

    Sigmatique, parce que caractérisé par la présence d'un infixe... s, le sigma de l'alphabet grec (σ, ς, Σ) correspondant à la sifflante sourde [s].

    Et vous le reconnaitrez, parler d'une forme sigmatique plutôt que d'une forme en -s, ça a quand même nettement plus de gl.




    L'intarissable Hrach Martirosyan nous précise encore que մեռանիմ, meṙanim, “mourir, se retrouve en abondance dans la Bible
    (je le précise pour Monsieur Ucon : la Bible en arménien),
    ainsi qu'un de ses dérivés, an-meṙ, “immortel”, que les plus fidèles d'entre vous ne manqueront pas de relier, considérant la présence de ce an- privatif, au grec ancien ἀμβροσία, ambrosía“ambroisie”, ou au sanskrit अमृत, amṛ́ta, “immortel ; élixir de vie, immortalité, nourriture et nectar des dieux”.


    Sachez encore que l'arménien classique մեռանիմ, meṙanim, “mourir”, a donné l'arménien moderne մեռնել, meṙnel, de même sens.

    Ce qui nous permet de dire : 


    racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-mort”
    aoriste sigmatique indo-européen *mer-s-
    arménien classique մեռանիմ, meṙanim, “mourir
    arménien մեռնել, meṙnel, mourir




    Allez, encore un dérivé de *mer-mort”, en arménien.
    Ce sera le dernier dont nous parlerons.

    L'arménien classique... մահ, mah.

    Mah, c'est la mort, mais aussi, par extension, le massacre, la pestilence...


    On retrouve un mot de la même famille dans la Bible (arménienne, hein Fernand) :
    • mah-oy, mortel”.
    Sachez également qu'il apparaît, toujours dans la Bible, sous une forme plus ancienne : 
    • մարհ, marh, toujours (la) mort”.
     

    Jusque là, tout est parfait, tout baigne...

    Si ce n'est que... l'arménien classique mah n'est peut-être pas issu en droite ligne de notre racine *mer-mort”.


    Oui, je sais.


    Il pourrait ne s'agir que d'un emprunt.

    Mais bon, on ne va trop s'inquiéter.


    Déjà
    - je le précise pour les francophones anglophobes -,
    il ne s'agit pas, rassurez-vous, d'un emprunt à l'anglais, mais bien... à l'iranien.

    Si le fait que le mot soit emprunté à l'une des langues iraniennes ne fait strictement aucun doute
    - si vous voulez vraiment tout savoir, c'est parce que dans ses diverses déclinaisons, mah présente un radical en -u : mah-u aux génitif, datif et instrumental singulier, i mah-u-an-ē à l'ablatif singulier..., et que cette déclinaison en -u est exotique en arménien, mais parfaitement courante en iranien -,
    en revanche, on hésite sur l'ascendance indo-européenne précise du mot iranien, indéterminé, qui servit d'emprunt.

    Encore une fois, rassurez-vous !

    Pas question de mettre en doute la paternité (maternité ?) de notre racine *mer-mort” ; mais là où réside l'incertitude, c'est sur la forme indo-européenne par laquelle notre racine *mer- a pu transmettre ce mot à l'iranien.
    S'agirait-il d'une forme *mr̥-tu-, ou alors d'une forme *mr̥-ti-u-, voire carrément *mr̥tro-, on n'en sait rien.


    (Un mot iranien indéterminé qui servit d'emprunt ? J'ajouterai quand même que si l'on en croit la (charmante) linguiste Marianna Bolognesi 
    - avec qui la sauce prend toujours sans aucun problème, mais ça c'est un peu facile -, 
     mah serait emprunté au parthe *marh(u), lui-même issu de l'ancien iranien *mr̥θyu-.)

    Marianna Marcella Bolognesi,
    Université de Bologne (vraiment)



    Nous dirons donc : 

    racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-mort”
    forme *mr̥-tu- ou *mr̥-ti-u- ou *mr̥tro- ?
    mot iranien indéterminé / parthe *marh(u), issu de l'ancien iranien *mr̥θyu- (?)
    emprunt
    arménien classique մարհ, marh, (la) mort”
    arménien classique մահ, mah, “(la) mort...



    Quoi qu'il en soit, ce mot figure en abondance dans la Bible (Fernand, oui ?), et c'est encore lui que l'on découvre dans l'expression qu'emploie l'historien arménien Fauste de Byzance (Փավստոս Բուզանդ, P’avstos Buzand)
    - mais oui, on on en avait parlé, ici : ոչ լսեն ինձ -,
    dans son Histoire de l'Arménie, qu'il rédigea aux IVème et Vème siècles :
    deƚel zna mahuan deƚōk 'n,
    que l'on traduit par “pour l'infecter (elle, Oghimb, de Byzance) d'un poison mortel”. 



    Enfin, vous retrouverez encore notre mah dans la locution satak-a-mah, “mourir misérablement”, dans la traduction - arménienne, je le précise pour certain(s) - de ce passage de la Bible, 2e livre des Maccabées, 9.28,
    “Ainsi ce meurtrier et ce blasphémateur, après avoir souffert d'horribles douleurs, comme il en avait infligé à d'autres, eut le sort, lamentable entre tous, de perdre la vie sur une terre étrangère, en pleine montagne”.


    Et là-dessus (pas sur la montagne, hein), je vous laisse.
    Jusqu'à dimanche prochain.


    Je vous souhaite, à toutes et tous,
    un excellent dimanche, une heureuse semaine.





    Frédéric, en vacances




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    Attention,
    ne vous laissez pas abuser par son nom :
    on peut lire le dimanche indo-européen
    CHAQUE JOUR de la semaine.
    (Mais de toute façon,
    avec le dimanche indo-européen,
    c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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    Et pour nous quitter,

    aaah 

     - oui, ça faisait longtemps -,

    Nos amis virtuoses de Tafelmusik,

    dans une interprétation fraîche,
    imaginative,
    dépoussiérée,

    du plus que célèbre

    Air sur la corde de sol

    de

    Bach

    (tiré de la suite orchestrale no 3 en ré majeur BWV 1068)


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    2 commentaires:

    LeScrat a dit…

    Bonjour Frédéric!

    Et comme de juste, il est question de.. Macc(h)abées ;-)

    Excellente semaine!

    Frédéric Blondieau a dit…

    @LeScrat,

    Ahahah, oui, forcément ! ;-)

    Merci, et bonne semaine à toi !