- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 29 août 2021

Partir, c'est mourir un peu

        
article précédent : *mer- et *mir- sont en bateau.




Partir, c'est mourir un peu (...)

premier vers du
Rondel de l'adieu,

Edmond Haraucourt



Mourir, c'est partir beaucoup.

Frédéric Blondieau


Edmond Marie Félix Haraucourt,
18 octobre 1856 - 17 novembre 1941
(source)



 Bonjour à tous !


Chers lecteurs, 

En ce dimanche 29 août, nous poursuivons notre étude des dérivés de la racine indo-européenne...

*mer-mort”.


la distribution vraiment impressionnante de
Mort sur le Nil (Death on the Nile), 1978,
tiré du roman d'Agatha Christie, 1937


Ah, le grand Peter Ustinov...

Savez-vous qu'il était un grand connaisseur de l'oeuvre de Bach,
et qu'il avait retrouvé la partition d'une cantate que Bach
avait composée à deux ans (c'est du moins ce qu'il explique...) ?

Si vous aimez Bach et ses cantates, vous allez savourer ce pastiche,
par Ustinov, d'une cantate type de Bach.

Et oui, c'est tout à fait ça.

(l'image est de piètre qualité, mais soit)
https://youtu.be/QhcJPEPZrX4




Mais avant de continuer, le point :

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C'est le 4 juillet 2021 que nous avons débuté cette étude de la racine proto-indo-européenne *mer-mort”, avec quelques dérivés italiques et particulièrement latins, notamment morior, morīmourir” dont est issu notre français mourir.

Ce jour-là, nous avons également parlé...
  • du datif singulier vénète 𐌌𐌖𐌓𐌕𐌖𐌅𐌏𐌝, murtuvoi, mort”,
et
  • d'autres dérivés latins de morior, morīmourir” :
  • mortuusmort”, qui a cessé de vivre”, “où rien ne se passe ; qui demeure sans vie, dont la vie s'est retirée”, dont est issu notre français mort,
  • mors, mortis, “(la) mort”, dont est issu, par son accusatif mortemle substantif français (la) mort
  • mortālispérissable, sujet à la mortd'où... humain”, et son antonyme immortālis, que nous emprunterons pour en faire nos mortel et immortel,
ou encore
  • le composé moribundus, que nous emprunterons sous la forme moribond.
Heyr himna smiður, 4 juillet 2021

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Le 11 juillet 2021, nous nous sommes penchés sur ses dérivés germaniques, au nombre desquels nous citerons...
  • le vieux norois morðmeurtre”, d'où...
    • l'islandais morðle norvégien mordle suédois mordle danois mordou le féroïen morð.
  • le vieil anglais morðmeurtre” (ou dans un emploi poétique, mort, crime”), d'où le moyen anglais morth, murth, d'où l'anglais... murder, meurtre”,
  • le vieux frison morthd'où le saterlandais Morde, Moort, meurtre” et le frison occidental moard, meurtre”,
  • le vieux saxon morth, d'où le moyen bas allemand mōrt, d'où le bas allemand mort,
  • l'ancien haut allemand, mordd'où le moyen haut allemand mort, d'où l'allemand Mord, meurtre”,
  • le francique (non attesté) *murth, *morth, qui explique le vieux néerlandais morth, et à sa suite, le moyen néerlandais mort, dont sera issu le néerlandais moord,
  • le vieux norois myrðaassassiner”, d'où l'islandais myrðaassassiner”, le danois myrdeassassiner”, le norvégien Bokmål myrdeassassiner”, le féroïen myrðaassassiner”,
  • le gotique 𐌼𐌰𐌿𐍂𐌸𐍂, maurþrmeurtre”,
  • le vieil anglais morðor, meurtre”,
  • le vieux francique *murthrjan-, assassiner”, d'où l'ancien français meurtrir, murtrir, assassiner”, d'où nos meurtre et meurtrissure.

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Le 18 juillet, nous nous baladions parmi les dérivés celtiques de notre racine *mer-mort”, dont notamment...
  • le vieil irlandais marbd'où l'irlandais marbhle manxois marroole gaélique écossais marbh,
  • le gallois marw,
  • le moyen breton marf, maru, d'où le breton marv,
  • le cornique marow,
  • le moyen gallois marwd'où le gallois marw.

Nous avions également traité des composés...
  • moyen irlandais marbnad, d'où l'irlandais marbnath,
  • moyen gallois marwnad, d'ou le gallois marwnad,
  • moyen breton marvnad, d'où le breton marvnad, toujours élégie”,
dont on pourrait retrouver la trace dans certains noms gaulois, avec...
  • Vonatorix, qui désignerait un Maître des chants”, 
ou
  • Vanatactus, qui serait celui qui mène ou dirige les chants”.
Enfin, nous avions parlé de deux noms gaulois non plus apparentés à *mer-mort”, mais vraisemblablement construits sur le terme celtique *-natu : Vanatus et Vanata, peut-être  antonomases de la fonction de pleureur lors de funérailles.


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Le 25 juillet, nous avons découvert quelques dérivés grecs 
anciens de notre racine *mer-mort”, dont...

  • βροτός, brotósmortel”,

  • ἄμβροτος, ámbrotos, immortel”, d'où ἀμβρόσῐος, ambrósios, “immortel, divin”d'où ἀμβροσία, ambrosía, “nourriture des dieux, ambroisie”,

  • μορτός, mortós, mortel”.

  • Nous en avons profité pour comparer ces dérivés avec leurs cognats sanskrits :
    • l'adjectif मृत, mṛtámort”,
    • मर्त, marta, le mortel, l'homme”,
    • अमृत, amṛ́ta, immortel” “élixir de vie, immortalité, nourriture et nectar des dieux”
     
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    Le 1er août, nous passions en revue quelques théonymes et anthroponymes grecs anciens créés sur βροτός, brotósmortel” :
    • Ἀκεσίμβροτος, akesímbrotos,  celui qui soigne les mortels”, épithète d'Esculape,
    • τερψῐ́μβροτος, terpsímbrotos“qui met en joie le coeur de l'homme”, épithète d'Helios, 
    • Βροτολοιγός, Brotoloigos, “le fléau des mortels”, épithète d'Arès,
    • Ἐχέμβροτος, Ekhémbrotos, littéralement “qui possède des mortels”,
    • Θεόμβροτος, Theómbrotos, littéralement “dieu des mortels (?)
    • Κλεόμβροτος, Kleómbrotos, “glorieux mortel”,
    • Στησῐ́μβροτος, Stēsímbrotosl'homme qui se tient debout ou l'homme établi” (?) 
    Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, 1er août 2021 

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    Le 8 août, nous avons abordé les dérivés arméniens de notre racine, avec...

    • l'arménien classique մարդ, mard, au sens d'homme, être humain”, que l'on retrouve dans
      • le substantif arménien classique (non attesté) *ǰmarpersonne mâleque l'on décompose en ayr mard, littéralement personne homme”, ou dans

    • le substantif mard-a-gayl, qui désigne la hyène, (homme-loup”)
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    Le 15 août, nous avons découvert d'autres beaux dérivés arméniens de *mer-mort” :

    • l'arménien classique մեռանիմ, meṙanim“mourir”, d'où l'arménien moderne մեռնել, meṙnel, de même sens,
    • son dérivé an-meṙ, “immortel”,
    • l'arménien classique... մահ, mah, (la) mort” (emprunt à l'iranien), avec sa forme ancienne մարհ, marh(la) mort”, et un de des dérivés, mah-oy, mortel”
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    Le 22 août, nous avons abordé les dérivés balto-slaves de notre racine, parmi lesquels :

    • le vieux slavon d'église мрѣти, mrěti“mourir”,
    • le serbo-croate mrijȇti, “mourir”,
    • le biélorusse ме́рці, mjérci“mourir”,
    • le russe мере́ть, miriétʹ, “mourir, périr en grand nombre”,
    • l'ukrainien ме́рти, mérty, “mourir”,
    • le tchèque mřít“mourir, se faner”,
    • le polonais mrzeć, “mourir”,
    • le lituanien mir̃ti“mourir”,
    • le letton mìrt, “mourir”
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    En ce dimanche, nous continuons à mettre au jour


    les dérivés balto-slaves de notre racine du moment...



    La semaine dernière, Rick Derksen nous avait offert un couple d'étymons proto-balto-slaves,

    *mer- et *mir-, “mourir”,

    desquels descendaient une jolie série de dérivés.


    On s'en souvient, mmmh ?

    racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-mort”
    proto-balto-slave *mer-, “mourir”
    étymon slave *mer-, “mourir”
    vieux slavon d'église мрѣти, mrěti“mourir”,
    russe мере́ть, miriétʹ, “mourir, périr en grand nombre”,
    tchèque mřít“mourir, se faner
    (...)


    racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-mort”
    degré zéro *mr-, “mourir
    proto-balto-slave *mir-, “mourir”
    étymon balte *mirti-“mourir”
    lituanien mir̃ti“mourir”,
    letton mìrt, “mourir”



    Eh bien, en ce dimanche, je vous propose,
    toujours par l'entremise de Rick Derksen,
    un nouvel étymon balto-slave, le substantif ... 





    *mirtis-, “(la) mort”.

    C'est d'une forme de degré zéro de notre terrible *mer-mort”, que serait issu cet étymon : 

    *mr-ti-.


    Dans les langues baltes, par un étymon balte *mirtis-, nous pouvons en dériver...

    • le féminin lituanien mirtìs, au sens de “(la) mort”.


    Donc : 

    racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-mort”
    degré zéro *mr-ti- 
    proto-balto-slave *mirtis-, “(la) mort”
    étymon balte *mirtis-, “(la) mort”
    lituanien mirtìs“(la) mort”


    Un étymon balto-slave *mirtis-, “(la) mort”, duquel descend une forme balte identique, inchangée, *mirtis-, “(la) mort”, parfait !

    Dans les langues slaves, en revanche, l'étymon balto-slave *mirtis-deviendra autre chose... :

    l'étymon slave... *sъmьrtь-

    - à vos souhaits -

    mais toujours au sens de “(la) mort”.

    (Précisons-le de suite, ce caractère ъ, qui apparaît entre le s et le m de *sъmьrtь-, c'est, en russe, un твёрдый знак, tviordeuïl znak, littéralement un “signe dur”, qui n'a pas de valeur phonétique propre ;  il ne sert qu'à indiquer l’absence de palatalisation de la consonne précédente. Quant à ce ь qui apparaît encore deux fois plus loin dans le mot, c'est comme qui dirait l'inverse du ъ : un signe mou, мягкий знак (miaxkii znak) indiquant que la consonne qu'il suit est mouillée, donc adoucie.)


    *sъmьrtь-, toujours au sens de “(la) mort” ?

    Enfin... euh... ouuuui, mais...


    ici, il s'agit particulièrement de la mort... naturelle.
    Cette mort qui emporte ceux dont on dit qu'ils sont morts d'une belle mort.


    La plus belle mort, c'est d'être tué à 80 ans d'un coup de revolver par un mari jaloux.

    Francis Blanche


    Ce surprenant *sъmьrtь-,

    qui ressemble à s'y méprendre au smørrebrød danois

    smørrebrød, littéralement pain au smørre
    (je vous assure : vous ne voulez pas savoir ce que c'est)

    (Mais non : le smørrebrød,
    dont le nom provient en réalité de smør og brød“beurre et pain”,
    consiste en une tranche de pain (de seigle) beurrée
    sur laquelle on rajoute à peu près n'importe quoi, tant que ça racle la gorge
    quand on en prononce le nom)

     

    Ce surprenant *sъmьrtь-, disais-je, est en réalité un composé, de...

    • *
    et de

    • *mьrtь.

    Tout s'éclaire, non ? 



    Allons allons... Vous reconnaissez certainement notre brave étymon balto-slave *mirtis- caché derrière *mьrtь.

    Quant à ce préfixe *sъ-, sans même avoir fait du russe, vous le connaissez ! 

    (Et c'est auprès de Serguei Sakhno que je suis allé chercher ce qui suit)


     

    Mais ouiii, vous le connaissez, ce * !
    C'est lui qui apparaît dans le russe здоро́вье, zdaroviésanté”, immortalisé dans l'expression на здоро́вье, na zdarovié, qu'en nos contrées, tout non russophone lambda a appris à utiliser dans le sens de “à votre santé
    - je vous parie que c'est ainsi que l'utilise votre beauf -,
    mais qui se traduirait plutôt par, selon les circonstances, “à vos souhaits ; bon appétit ; je vous en prie...”.



    Mais reprenons l'explication : здоро́вье, zdaroviésanté”, constitué, donc, du préfixe *sъ-
    - j'espère que je ne vous l'apprends pas -,
    et de *dorvъ“fort, solide”,

    signifie bien portant, sain, solide”.

    le nageur Vladimir Morozov :
    un russe bien portant, sain, solide



    Vous pouvez à présent le déduire : ce préfixe *sъ- apporte une notion positive de bien, de beau, de bon...

    Accolé à *mьrtь, il transforme une mort somme toute banale en une... belle mort.
    Une mort naturelle.

     


    Je ne veux pas être mauvaise langue, mais bon, on est quand même loin des dérivés germaniques de notre *mer-, qui ne parlent que de meurtre...



    Je me dois cependant de préciser que cette notion originelle de belle mort liée au slave *sъmьrtь- s'estompe - voire disparaît totalement - dans ses dérivés, dont le sens se généralisera, et qui désigneront tout simplement... la mort.
    Paisible ou violente, naturelle ou accidentelle... 


    Alors ! Sont notamment issus de cet étymon slave *sъmьrtь-...


    langues slaves méridionales

    • le - mais ouiiiiiii !!! - vieux slavon d'église съмрьть, sŭmrĭtĭ, ou même mieux, en glagolitique, ⱄⱏⰿⱃⱐⱅⱐ, sŭmrĭtĭ“(la) mort”,
    • le bulgare смърт, smǎrt“(la) mort ; la Mort (la grande faucheuse), et par extension “le dégoût, la répugnance”,
    voilà peut-être pourquoi on trouve si peu de Smart en Bulgarie ?
    Une voiture qui se présente comme un corbillard, brrrrrr,
    et qui inspire la répugnance, qui plus est...

    • le macédonien смрт, smrt - à vos souhaits -, “(la) mort”,
    • le serbo-croate smȑt“(la) mort”,

    langues slaves orientales

    • le biélorusse смерць, smjercʹ,“(la) mort”,
    • le russe смерть, smiertʹ“(la) mort”, employé aussi dans le sens de se damner pour : eму́ сме́рть как хо́чется кури́ть : il se damnerait pour une cigarette,
    • l'ukrainien смерть, smertʹ“(la) mort”,


    langues slaves occidentales

    • le tchèque smrt“(la) mort”,
    • le polonais śmierć“(la) mort”,
    • le haut sorabe smjerć“(la) mort”,
    • le bas sorabe smjerś“(la) mort”.

    haut sorabe et bas sorabe,
    langues slaves parlées dans l'est de l'Allemagne,
    qui se situent entre le tchèque et le polonais 



    spécialement pour quelqu'un, qui se reconnaîtra...



    Et donc : 

    racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-mort”
    degré zéro *mr-ti 
    proto-balto-slave *mirtis-, “(la) mort”
    étymon slave *sъmьrtь-“mort naturelle”
    vieux slavon d'église ⱄⱏⰿⱃⱐⱅⱐ, sŭmrĭtĭ“(la) mort”,
    bulgare смърт, smǎrt“(la) mort...”,
     russe смерть, smiertʹ“(la) mort”,
    tchèque smrt“(la) mort”,
    polonais śmierć“(la) mort”
    (...)




    La semaine prochaine, encore du balto-slave !


    Je vous souhaite, à toutes et tous,
    un excellent dimanche, une heureuse semaine.





    Frédéric, à la fin de ses vacances

    Alexandre reprend le travail.
    Et c'est dur.
    Très dur.





    ******************************************
    Attention,
    ne vous laissez pas abuser par son nom :
    on peut lire le dimanche indo-européen
    CHAQUE JOUR de la semaine.
    (Mais de toute façon,
    avec le dimanche indo-européen,
    c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

    ******************************************

    Et pour nous quitter

     - ben oui -,

    du Bach.

    VOCES8, l'Academy of Ancient Music et bien d'autres (dont certains transfuges de Tenebrae) se sont réunis pour interpréter,

    rien que pour vous,

    et
    sous la remarquable direction de Barnaby Smith (de VOCES8),

    le Gloria

    de la

    Messe en si mineur, BWV 232


    https://youtu.be/dSg1DezYN40


    ******************************************

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    4 commentaires:

    LeScrat a dit…

    C'est drôle, au fond "cмерть" c'est mdR (mort de Russe).

    Excellent dimanche, Frédéric !

    Pierre Libotte a dit…

    Et quoi de meilleur, après un bon smørrebrød, qu'une délicieuse rødgrød med fløde ? Hmmm ?

    A l'année prochaine, Alexandre, et bon courage pour la reprise, Frédéric !

    Frédéric Blondieau a dit…

    Ahaha c’est le mot !

    Merci LeScrat !

    Frédéric Blondieau a dit…

    Certainement ! :-)

    Merci, Pierre ! De courage, j’en ai besoin… ;-)