- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 22 août 2021

*mer- et *mir- sont en bateau.

         

article précédent : deƚel zna mahuan deƚōk 'n




būs laiks, kad pēdējais no gulbjiem mirs

letton pour il y aura un temps où le dernier des cygnes mourra


Oui, les Lettons sont vraiment réputés pour leur joie de vivre tellement communicative 


les cygnes noirs de Cēsis
(région de Vidzeme, nord-est de Riga)
(source)






Bonjour à tous.


Nous poursuivons en ce dimanche notre étude des dérivés de la racine indo-européenne...



Les Trois âges de la femme et la Mort, 1510,
Hans Baldung, 
Musée d’Histoire de l’art de Vienne
(source)

*mer-mort”.



Mais avant de continuer, faisons le point :

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C'est le 4 juillet 2021 que nous avons débuté cette étude de la racine proto-indo-européenne *mer-mort”, avec quelques dérivés italiques et particulièrement latins, notamment morior, morīmourir” dont est issu notre français mourir.

Ce jour-là, nous avons également parlé...
  • du datif singulier vénète 𐌌𐌖𐌓𐌕𐌖𐌅𐌏𐌝, murtuvoi, mort”,
et
  • d'autres dérivés latins de morior, morīmourir” :
  • mortuusmort”, qui a cessé de vivre”, “où rien ne se passe ; qui demeure sans vie, dont la vie s'est retirée”, dont est issu notre français mort,
  • mors, mortis, “(la) mort”, dont est issu, par son accusatif mortemle substantif français (la) mort
  • mortālispérissable, sujet à la mortd'où... humain”, et son antonyme immortālis, que nous emprunterons pour en faire nos mortel et immortel,
ou encore
  • le composé moribundus, que nous emprunterons sous la forme moribond.
Heyr himna smiður, 4 juillet 2021

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Le 11 juillet 2021, nous nous sommes penchés sur ses dérivés germaniques, au nombre desquels nous citerons...
  • le vieux norois morðmeurtre”, d'où...
    • l'islandais morðle norvégien mordle suédois mordle danois mordou le féroïen morð.
  • le vieil anglais morðmeurtre” (ou dans un emploi poétique, mort, crime”), d'où le moyen anglais morth, murth, d'où l'anglais... murder, meurtre”,
  • le vieux frison morthd'où le saterlandais Morde, Moort, meurtre” et le frison occidental moard, meurtre”,
  • le vieux saxon morth, d'où le moyen bas allemand mōrt, d'où le bas allemand mort,
  • l'ancien haut allemand, mordd'où le moyen haut allemand mort, d'où l'allemand Mord, meurtre”,
  • le francique (non attesté) *murth, *morth, qui explique le vieux néerlandais morth, et à sa suite, le moyen néerlandais mort, dont sera issu le néerlandais moord,
  • le vieux norois myrðaassassiner”, d'où l'islandais myrðaassassiner”, le danois myrdeassassiner”, le norvégien Bokmål myrdeassassiner”, le féroïen myrðaassassiner”,
  • le gotique 𐌼𐌰𐌿𐍂𐌸𐍂, maurþrmeurtre”,
  • le vieil anglais morðor, meurtre”,
  • le vieux francique *murthrjan-, assassiner”, d'où l'ancien français meurtrir, murtrir, assassiner”, d'où nos meurtre et meurtrissure.

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Le 18 juillet, nous nous baladions parmi les dérivés celtiques de notre racine *mer-mort”, dont notamment...
  • le vieil irlandais marbd'où l'irlandais marbhle manxois marroole gaélique écossais marbh,
  • le gallois marw,
  • le moyen breton marf, maru, d'où le breton marv,
  • le cornique marow,
  • le moyen gallois marwd'où le gallois marw.

Nous avions également traité des composés...
  • moyen irlandais marbnad, d'où l'irlandais marbnath,
  • moyen gallois marwnad, d'ou le gallois marwnad,
  • moyen breton marvnad, d'où le breton marvnad, toujours élégie”,
dont on pourrait retrouver la trace dans certains noms gaulois, avec...
  • Vonatorix, qui désignerait un Maître des chants”, 
ou
  • Vanatactus, qui serait celui qui mène ou dirige les chants”.
Enfin, nous avions parlé de deux noms gaulois non plus apparentés à *mer-mort”, mais vraisemblablement construits sur le terme celtique *-natu : Vanatus et Vanata, peut-être  antonomases de la fonction de pleureur lors de funérailles.


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Le 25 juillet, nous avons découvert quelques dérivés grecs 
anciens de notre racine *mer-mort”, dont...

  • βροτός, brotósmortel”,

  • ἄμβροτος, ámbrotos, immortel”, d'où ἀμβρόσῐος, ambrósios, “immortel, divin”d'où ἀμβροσία, ambrosía, “nourriture des dieux, ambroisie”,

  • μορτός, mortós, mortel”.

  • Nous en avons profité pour comparer ces dérivés avec leurs cognats sanskrits :
    • l'adjectif मृत, mṛtámort”,
    • मर्त, marta, le mortel, l'homme”,
    • अमृत, amṛ́ta, immortel” “élixir de vie, immortalité, nourriture et nectar des dieux”
     
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    Le 1er août, nous passions en revue quelques théonymes et anthroponymes grecs anciens créés sur βροτός, brotósmortel” :
    • Ἀκεσίμβροτος, akesímbrotos,  celui qui soigne les mortels”, épithète d'Esculape,
    • τερψῐ́μβροτος, terpsímbrotos“qui met en joie le coeur de l'homme”, épithète d'Helios, 
    • Βροτολοιγός, Brotoloigos, “le fléau des mortels”, épithète d'Arès,
    • Ἐχέμβροτος, Ekhémbrotos, littéralement “qui possède des mortels”,
    • Θεόμβροτος, Theómbrotos, littéralement “dieu des mortels (?)
    • Κλεόμβροτος, Kleómbrotos, “glorieux mortel”,
    • Στησῐ́μβροτος, Stēsímbrotosl'homme qui se tient debout ou l'homme établi” (?) 
    Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, 1er août 2021 

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    Le 8 août, nous avons abordé les dérivés arméniens de notre racine, avec...

    • l'arménien classique մարդ, mard, au sens d'homme, être humain”, que l'on retrouve dans
      • le substantif arménien classique (non attesté) *ǰmarpersonne mâleque l'on décompose en ayr mard, littéralement personne homme”, ou dans

      • le substantif mard-a-gayl, qui désigne la hyène, (homme-loup”)
    🜛

    Le 15 août, nous avons découvert d'autres beaux dérivés arméniens de *mer-mort” :

    • l'arménien classique մեռանիմ, meṙanim“mourir”, d'où l'arménien moderne մեռնել, meṙnel, de même sens,
    • son dérivé an-meṙ, “immortel”,
    • l'arménien classique... մահ, mah, (la) mort” (emprunt à l'iranien), avec sa forme ancienne մարհ, marh(la) mort”, et un de des dérivés, mah-oy, mortel”
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    En ce dimanche, passons, si vous le voulez bien
    (je ne suis quand même pas sûr que vous ayez vraiment le choix)
    aux dérivés balto-slaves de notre racine du moment...

    Je vous le dis, nous y consacrerons clairement plus d'un dimanche.


    Contentons-nous, pour l'heure, des dérivés que Rick Derksen,

    Rick Derksen, lors d'un tournoi organisé par la
    Leidsch Schaakgenootschap

    dans ses...

    Etymological Dictionary of the Slavic Inherited Lexicon



    et

    Etymological Dictionary of the Baltic Inherited Lexicon,


    respectivement les volumes 4 et 13 du Dictionnaire étymologique indo-européen de Leiden,

    contentons-nous donc, des dérivés que Rick Derksen fait descendre d'un couple d'étymons proto-balto-slaves... (reconstruits, hein, on se calme) *mer- et *mir-“mourir”.

    Reconstruits, mais oui...
    Je l'ai déjà expliqué, ces étymons reconstruits, propres
    - mieux : communs -
    à une famille de langues (comme ici, la famille balto-slave) permettent plusieurs choses, notamment de retrouver une proto-langue, même si hypothétique, dont seront issus les langues que nous connaissons au sein de cette famille.

    À l'origine des langues baltes et slaves, la linguistique comparative reconstruit une langue commune, le proto-balto-slave (ou balto-slave commun), à l'origine d'un (hypothétique) proto-balte (ou balte commun) et d'un tout aussi hypothétique proto-slave (ou slave... on se lâche ? OUIIII !, commun).


    proto-indo-européen (hypothétique)
    proto-balto-slave  
    proto-balte (hypothétique) - proto-slave (hypothétique)
    ⇓                                  
    langues baltes (avérées)        langues slaves (avérées)


    (C'est plus facile avec les couleurs)


    La reconstruction de toutes ces langues hypothétiques, quelles qu'elles soient, se fait par une stricte et rigoureuse analyse linguistique comparée et historique, utilisant notamment les mécanismes de transformation phonétique que l'on ne cesse d'observer.

    Si l'on connaît ces lois de mutations phonétiques par lesquelles on peut expliquer beaucoup des mots actuels de nos langues modernes, il n'est évidemment pas fréquent de pouvoir, en vrai, les voir à l'oeuvre sur des langues disparues, voire... hypothétiques.

    Mais parfois, un petit miracle se produit, comme lors de la découverte des cornes de Gallehus..., qui confirme l'exactitude de la théorie scientifique.
    les cornes de Gallehus



    Bon, cela étant dit, revenons, voulez-vous, à ce couple d'étymons balto-slaves *mer- et *mir-“mourir”.

    Rick Derksen rattache le premier, *mer-,

    mer

    à notre racine indo-européenne *mer-mort”, par sa forme de degré plein au timbre e
    - en d'autres termes, à *mer- - je vous ai bien eus -,

    et il rattache le second, *mir-

    Mir

    à son degré zéro, *mr-.


    Et,
    ce qui simplifiera peut-être les choses,
    nous pouvons dire que...
    • le proto-balto-slave *mer- donnera naissance à des dérivés slaves, via un étymon slave *merti-,
    et
    • que le proto-balte *mir- donnera naissance, lui, à des dérivés baltes, via un étymon balte *mirti-.


    Et si nous schématisions ? 


    racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-mort”
    proto-balto-slave *mer-, “mourir”
    étymon slave *mer-, “mourir”
    dérivés slaves



    racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-mort”
    degré zéro *mr-“mourir
    proto-balto-slave *mir-, “mourir”
    étymon balte *mirti-“mourir”
    dérivés baltes



    Promenons-nous d'abord parmi certains des dérivés slaves de notre racine *mer-mort”.

    (pour rappel :)

    racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-mort”
    proto-balto-slave *mer-, “mourir”
    étymon slave *mer-, “mourir”
    dérivés slaves


    L'étymon (proto-)slave *mer-, “mourir”, permet d'expliquer...




    langues slaves méridionales
    • le - mais ouiiiii !!! - vieux slavon d'église мрѣти, mrěti“mourir”,
    • le bulgare мра, mra“mourir”,
    • le serbo-croate mrijȇti, “mourir”,
    • le slovène mrẹ́ti, “mourir, être malheureux”,


    langues slaves orientales
    • le biélorusse ме́рці, mjérci“mourir”,
    • le russe мере́ть, miriétʹ, “mourir, périr en grand nombre”,
    • l'ukrainien ме́рти, mérty, “mourir”,

    langues slaves occidentales
    • le vieux tchèque mřieti, d'où le tchèque mřít“mourir, se faner”,
    • le polonais mrzeć, “mourir”,
    • le slovaque mrieť, “mourir, dégeler (pensez à la débâcle)”.
    la débâcle, qui marque la fin d'une saison, le départ des glaces



    Résumons ?

    racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-mort”
    proto-balto-slave *mer-, “mourir”
    étymon slave *mer-, “mourir”
    vieux slavon d'église мрѣти, mrěti“mourir”,
    russe мере́ть, miriétʹ, “mourir, périr en grand nombre”,
    tchèque mřít“mourir, se faner
    (...)

    ben quoi ? Il est écrit slave, par Mort Shuman




    Enfin, parmi les dérivés baltes de notre racine *mer-mort”,

    (pour rappel :)

    racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-mort”
    degré zéro *mr-, “mourir
    proto-balto-slave *mir-, “mourir”
    étymon balte *mirti-“mourir”
    dérivés baltes


    nous pourrions citer...


    • le lituanien mir̃ti“mourir”,
    • le letton (mais l'est-on VRAIMENT ?) mìrt, “mourir”.

    Et donc : 

    racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-mort”
    degré zéro *mr-, “mourir
    proto-balto-slave *mir-, “mourir”
    étymon balte *mirti-“mourir”
    lituanien mir̃ti“mourir”,
    letton mìrt, “mourir”




    Nous avons encore BEAUCOUP à dire des dérivés baltes et slaves de notre racine *mer-,mort”...

    Mais là, c'est les vacances !




    Et si l'on en profitait pour reprendre tout ça, pour, en reculant de quelques pas, prendre conscience de ces liens étroits que nous avons découverts durant cette série d'articles ?

    Entre le français mort et le vieux norois morð, “meurtre”, ou le français meurtrir...
    Ou le gallois marwle breton marv...

    Auriez-vous jamais imaginé que ces mots pour immortel que sont l'arménien an-meṙ,' le sanskrit amṛ́ta et le grec ancien ἀμβροσία, ambrosía étaient des parents proches, qui plus est construits de la même façon ?

    Eh oui. 

    ne vous inquiétez pas,
    c'est toujours comme ça.
    On ne s'y fait vraiment jamais.








    Je vous souhaite, à toutes et tous,
    un excellent dimanche, une heureuse semaine.





    Frédéric, en vacances







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    Attention,
    ne vous laissez pas abuser par son nom :
    on peut lire le dimanche indo-européen
    CHAQUE JOUR de la semaine.
    (Mais de toute façon,
    avec le dimanche indo-européen,
    c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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    Et pour nous quitter,

    du Bach.


    Avec une version surprenante, mais tout bonnement remarquable,

    de l'Aria da Capo, tiré des Variations Goldberg, BWV 988,

    par

    Seldom Sene

    https://youtu.be/D5npF9GV7rQ


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