« Ma mère distille une angoisse insupportable et on la fuit pour ne pas être contaminé mais on est quand même contaminé et ma mère sent qu'on la fuit et qu'on la traite comme un meuble, enfin pas vraiment et même pas du tout mais parfois elle sent ça alors son angoisse monte et on la fuit encore plus. »
Ma mère rit, 2013
Chantal Akerman,
réalisatrice belge, et âme tourmentée
Bonjour à toutes et tous !
Nous sommes le dimanche 12 juillet 2020, et, imperturbables, nous nous continuons notre quête des dérivés de la racine indo-européenne...
De ses dérivés, nous connaissons déjà,
passés par les latins gerō, gerēre, “porter, transporter” et agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”...
- digeste, gérer, gérondif, gestation, geste, indigeste, suggérer,
un exemple de gérondif ? "En digérant"., 16 février 2020,
- agir, agiter, ambages, ambigu, cailler, coaguler, cogiter, exiger, exigu,
exiger de s'agiter sans ambages, c'est un peu ambigu, non ?, 23 février 2020,
- acte, acteur, action, actually, actuel, actuellement, agence, agent, agissements,
et... action !, 1er mars 2020,
- aurige, cacher, cachet,
- décati, squat, squatter,
l'anglais squatte le français, 12 avril 2020,
- l'espagnol et le portugais cuidar, nos français essai, essaim, exact, exaction, examen, exiger (pour compléments d'informations), outrecuidant,
l'apiculteur, passionné, procéda à un examen d'essaim, 19 avril 2020,
- agile, (et des bouts des composés) fatiguer, litige, nager, naviguer, et transiger,
- un terme des composés châtier, châtiment, fumigation, purger,
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”
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proto-italique *ag-e/o-, “faire, agir”
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latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
proto-italique *ag-e/o-, “faire, agir”
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latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”
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racine post-indo-européenne *h₂ǵ-es-, “transporter”
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proto-italique *ges-e/o-, “transporter”
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latin gerō, gerēre, “porter, transporter”
racine post-indo-européenne *h₂ǵ-es-, “transporter”
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proto-italique *ges-e/o-, “transporter”
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latin gerō, gerēre, “porter, transporter”
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et puis, passés par le grec ancien ἄγω, ágō, “guider, diriger, mener...”,
- agonie, agoniste, paragogé, pédagogue et protagoniste,
- antagonisme, antagoniste, mystagogue, stratagème, stratège, synagogue,
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-, “conduire, diriger”
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proto-hellénique *ágō-, “guider, conduire”
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grec ancien ἄγω, ágō, “guider, diriger, mener...”
proto-hellénique *ágō-, “guider, conduire”
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grec ancien ἄγω, ágō, “guider, diriger, mener...”
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passés par le proto-celtique *ag-o-, “conduire”,
- le vieil irlandais ág, “combat, lutte”, le gaulois ago-, “combat, lutte”, le vieux gallois hegit, “aller”, les moyen breton et cornique a, “aller”, les gaulois axat, “qu'il emmène”, et actos dans amb(i)-actos, “serviteur, envoyé”, dont découlera ambassade,
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-, “conduire, diriger”
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proto-celtique *ag-o-, “conduire”
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proto-celtique *ag-o-, “conduire”
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vieil irlandais ág, “combat, lutte”, gaulois ago-, “combat, lutte”, vieux gallois hegit, “aller”, moyen breton et cornique a, “aller”, gaulois axat, “qu'il emmène”, actos dans le gaulois amb(i)-actos, “serviteur, envoyé”, dont découlera ambassade
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passés par le vieux norois aka, “conduire”,
- l'islandais aka, “(se) déplacer, conduire”, le norvégien nynorsk aka, ake, le danois age, ... et par emprunts, le scots oag, hoag, aik et l'anglais dialectal du nord aik, “conduire”,
le vieil Islandais brûla un feu au volant de son Scania, 31 mai 2020,
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-, “conduire, diriger”
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forme *h₂éǵ-e-
forme *h₂éǵ-e-
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proto-germanique *akan-, “conduire”
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vieux norois aka, “conduire”
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islandais aka, “(se) déplacer, conduire”, norvégien nynorsk aka, ake, danois age, ...
et par emprunts,
le scots oag, hoag, aik et l'anglais dialectal du nord aik, “conduire”
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nous avons découvert ensuite ...
- le sanskrit अजति, ajati, “conduire”, l'arménien classique ածեմ, acem, “transporter, aller chercher, emmener...”, l'avestique 𐬀𐬰𐬀𐬌𐬙𐬌, azait, “conduire, diriger”, et même le tokharien (A et B) āk-, “conduire, diriger”...
et puis, hérité d'une forme nominale *h₂eǵ-ro-, “champ non cultivé, pâture”
et passé par le proto-italique *agro-, “champ”,
- le latin ager, agrī, “lopin de terre, domaine, champ, terrain, territoire...”, d'où nous arrivent nos agraire, agreste... mais aussi aire (le nid de l'aigle), débonnaire, ainsi qu'un bout de nos pèlerin, pèlerine, pèlerinage, et pérégrination,
marche à l'ombre, 14 juin 2020, Louis, sans en avoir l'air, était quand même assez pieux., 21 juin 2020 et les vrais aussi, ils partent en voyage, 28 juin 2020.
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-, “conduire, diriger”
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forme nominale *h₂eǵ-ro-, “champ non cultivé, pâture”
forme nominale *h₂eǵ-ro-, “champ non cultivé, pâture”
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proto-italique *agro-, “champ”
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latin ager, agrī, “lopin de terre, domaine, champ, terrain, territoire...”
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étymon protoroman */ˈaɡr‑u/, “étendue de terre propre à la culture ; étendue de la surface terrestre située à la campagne”
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ancien français (h)aire, “nid d'oiseau” puis, par spécialisation, “nid d'un rapace”
latin ager, agrī, “lopin de terre, domaine, champ, terrain, territoire...”
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composé latin per-egre, “de l'étranger, à l'étranger”
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latin peregrīnus, “qui voyage à l'étranger, vient de l'étranger, concerne l'étranger...”
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dissimilation
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bas latin pelegrinus
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ancien français pèlerin (1050), “étranger”
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et encore, toujours dérivé du mot indo-européen *h₂eǵ-ro-, “champ non cultivé, pâture”,
le grec ancien ἀγρός, agrós, “champ, terre, campagne...” et sa multitude d'emprunts en français en agro-,
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ, “conduire, diriger”
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forme nominale *h₂eǵ-ro-, “champ non cultivé, pâture”
forme nominale *h₂eǵ-ro-, “champ non cultivé, pâture”
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mycéen 𐀀𐀒𐀫, a-ko-ro, “champ, pays”,
grec ancien ἀγρός, agrós, “champ, terre, campagne...”
grec ancien ἀγρός, agrós, “champ, terre, campagne...”
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grecs anciens ἀγροῖκος, agroîkos, “rustique, brut, grossier”,
ἄγρωστις, ágrōstis, peut-être Elymus repens,
άγρυπνος, ágrypnos, “insomniaque, éveillé, vigilant”,
ἄγρῐος, ágrios, “sauvage, violent, féroce...”
grec ancien ἄγρῐος, ágrios, “sauvage, violent, féroce...”
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grec moderne άγριος, ágrios, “sauvage, féroce...”
grec ancien ἀγρός, agrós, “champ, terre, campagne...”
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emprunts
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français agronome, agrostème, mots divers en agro-
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Ouuuuf....
En ce superbe dimanche de juillet
- et non, ce ne sont pas les vacances, du moins pour moi -,
nous nous intéresserons aux dérivés de ce mot indo-européen créé sur notre délicieuse *h₂eǵ, “conduire, diriger”,
*h₂eǵ-ro-, “champ non cultivé, pâture”...
dans les langues...
germaniques.
Guus Kroonen, chercheur brillant mais aussi particulièrement accessible et sympathique,
dans son formidable Etymological Dictionary of Proto-Germanic, volume tiré de la série Leiden Indo-European Etymological Dictionary,
nous apprend qu'en proto-germanique, on retrouve la trace de ce *h₂eǵ-ro-, “champ non cultivé, pâture” sous la forme (reconstruite, non attestée, hein) *akra- 1, “champ”
(ce 1 permettant de distinguer cet étymon d'un homonyme,
de même forme mais de tout autre sens, donc,
*akra- 2, désignant, lui, un métal d'un certain type, mais dont les dérivés ne permettent pas d'en connaître plus précisément la nature).
Via *akra- 1, “champ”, notre *h₂eǵ-ro-, “champ non cultivé, pâture”, a donné un nombre impressionnant de dérivés dans le groupe germanique...
Ainsi, en
- YES YES YESSSS ! -
vieux norois, il a donné akr, “champ”, ou même, plus précisément, “champ de céréales, de blé”.
Parmi ses descendants, choisissons donc...
- l'islandais akur, “champ”, d'où akuryrkja, “ agriculture”,
- l'efdalien åker,
- le vieux danois akær,
un bon vieux danois |
- le vieux suédois åker,
- le féroïen akur. En agriculture, le champ.
Même s'il doit très certainement également s'employer pour désigner le bain de sang, le champ des mammifères marins déchiquetés par l'Homme ? En vous précisant quand même que s'il y a bien des bébés-phoques sur les Féroé, les autochtones, curieusement, n'ont pas encore pensé à les massacrer (pas assez de sang dans une aussi petite carcasse, apparemment).
(Relisez et dans le bassin du Tarim, on massacre aussi les bébés-phoques ?, du 31 mai 2020 ; on ne s'en lasse pas.)
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ, “conduire, diriger”
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forme nominale *h₂eǵ-ro-, “champ non cultivé, pâture”
forme nominale *h₂eǵ-ro-, “champ non cultivé, pâture”
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germanique *akra- 1, “champ”
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vieux norois akr, “champ”, “champ de céréales, de blé”
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islandais akur, “champ”, efdalien åker, vieux danois akær, vieux suédois åker...
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Toujours issu du germanique *akra- 1, “champ”, citons encore...
- le gotique 𐌰𐌺𐍂𐍃, akrs, “champ”, mais plutôt cultivé.
Enfin, dans la famille des langues germaniques occidentales, et par un étymon (reconstruit à partir de sa nombreuse descendance) *ak(k)r, “champ, espace dégagé”, notons...
- le vieil anglais æcer,
qui deviendra aker, acre en moyen anglais,
pour devenir l'anglais moderne acre, cette unité de surface qui correspond à 4.046,86 mètres carrés, mais qui, à l'origine, désignait bien le champ,
d'où le moyen néerlandais acker,
d'où le néerlandais akker,
et encore...
- le vieux haut-allemand ackar,
qui donnera, par le moyen haut-allemand acker,
l'allemand Acker (toujours champ, l'espace découvert cultivé).
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germanique *akra- 1, “champ”
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germanique occidental *ak(k)r, “champ, espace dégagé”, “champ de céréales, de blé”
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vieil anglais æcer ⇒ anglais acre,
vieux frison ekker,
vieux néerlandais accar, ackar ⇒ néerlandais akker,
vieux haut-allemand ackar ⇒ allemand Acker
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Le nom de famille de la talentueuse réalisatrice belge Chantal Akerman vient bien entendu de Aker/Acker/akker, et correspond à un surnom germanique que l'on donnait à un cultivateur, un laboureur...
Mais... mais... n'oublions pas non plus notre français acre...
Oui, notre acre,
ancienne mesure agraire qui valait en moyenne 52 ares.
(ô toi, ô toi, ©Le Grand Robert de la langue française)
Figurez-vous que pour une fois, il s'agit d'un mot qui apparaît en anglo-normand (vers 1170), mais qui n'est pas issu du français pour aller coloniser l'anglois.
Non, ici, même si l'on n'est pas très très sûr du mécanisme par lequel il est arrivé en anglo-normand, on sait qu'il s'agit d'un emprunt aux langues germaniques, au sens de mesure agraire.
On peut imaginer qu'il est arrivé par les invasions scandinaves du IXème siècle, entre deux viols, meurtres, rapines ou incendies.
- Mais ? Tu VIENS de nous dire que le vieux norois akr ne signifiait pas mesure, enfin !!, mais champ, champ de céréales !!
- Excellente remarque, j'avoue ! Oui. En fait, on soupçonne un premier emprunt au sens de champ, et ensuite, un réemprunt à l'anglais acre, avec ce sens de mesure, vers l'an mil, peut-être même après la bataille d'Hastings (1066).
(ci-dessous, le coin CM2)
(J'en ai jusque là ! Nous obliger à regarder leur tapisserie de Bayeux du début jusqu'à la fin !) |
(Si tu veux mon avis, il y a bien trop de violence dans les tapisseries, de nos jours) |
Le mot s'est répandu dans l'ouest de la France, et est resté vivant dans les dialectes normands jusqu'au XXème siècle, même s'il disparut du français général, en France du moins, avec l'Ancien Régime.
Á noter quand même qu'il a à nouveau été emprunté à l'anglais, mais cette fois pour désigner la mesure agraire britannique, puis américaine (c'est sous ce sens que l'utilise Chateaubriand, en 1827, dans son Voyage en Amérique).
Anciens ouvrages près de Nevark.
En arrivant vers le sud, ces ouvrages, qui se trouvent en plus grand nombre, plus compliqués et plus vastes, annoncent une population plus considérable et un progrès de connoissances.
Ceux qui sont sur les deux rives du Licking, près de Newark, sont les plus remarquables. On y reconnoît :
1° Un fort qui peut avoir quarante acres, compris dans ses remparts, qui ont généralement environ dix pieds de hauteur. On voit dans ce fort huit ouvertures (ou portes) d'environ quinze pieds de largeur, vis-à-vis desquelles est une petite élévation de terre, de même hauteur et épaisseur que le rempart extérieur. Cette élévation dépasse de quatre pieds les portes que probablement elle étoit destinée à défendre. Ces remparts, presque perpendiculaires, ont été élevés si habilement que l on ne peut voir d'où la terre a été enlevée.
Je vous souhaite un excellent dimanche, une très belle semaine.
Portez-vous bien.
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
un doux morceau, champêtre, agreste...
An Acre of Land,
tiré du recueil Folk Songs of the Four Seasons,
du compositeur anglais
Ralph Vaughan Williams
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article suivant : - Le champ arménien. Ah ! Charles Aznavour, Sylvie Vartan ! - Mais non, pas le chant, le champ.
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